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PREMIÈRE PARTIE

JEANNE REBOUL


I

L’institutrice.



La cour de Douai possédait, en 185., un magistrat modèle : M. Robert de Ferney. Chacun en prônait la science, la distinction, les mœurs irréprochables. Aussi jouissait-il d’une grande autorité, bien qu’il ne fût que conseiller.

À cette époque, M. de Ferney allait avoir quarante ans. Il était de haute taille, robuste, fait pour porter la cuirasse plutôt que la toge, mais il avait bien la physionomie des magistrats austères d’autrefois. L’expression de ses traits restait toujours grave ; sa physionomie demeurait toujours sévère ; le sourire lui semblait inconnu.

Allant peu dans le monde, dont toutes les portes, naturellement, lui étaient ouvertes, il ne connaissait guère d’autre chemin que celui du Palais de Justice à son cabinet de travail, et, soit qu’il y eût chez lui excès du labeur, soit qu’il fût miné par quelque chagrin secret, son esprit s’assombrissait de jour en jour.

Ses collègues et ses amis cherchaient avec intérêt, mais inutilement, la clef de cette énigme.

M. de Ferney paraissait d’une santé parfaite ; il était marié à une femme excellente et belle qui lui avait donné trois enfants : un fils âgé alors de treize ans et deux filles, l’une de sept ans et l’autre de trois.

Pour expliquer quand même la misanthropie, l’amour de l’isolement, la taciturnité de cet homme riche, honorable, estimé, qui semblait n’avoir rien à désirer, les uns le supposaient ambitieux, les autres lui donnaient des vices.

Rien de tout cela n’était vrai ; la cause des changements qui s’étaient produits depuis quelques années dans le caractère du magistrat avait une source plus noble, plus digne de pitié surtout.

Fort inquiet de la santé de sa femme qui, depuis sa dernière couche, c’est-à-dire depuis trois ans, avait à peine quitté son lit, malgré les soins des médecins appelés à son chevet, M. de Ferney s’était décidé à faire venir de Paris un des princes de la science, et l’arrêt prononcé par l’illustre praticien l’avait plongé dans le plus profond désespoir.

Mme  de Ferney était aux prises avec une anémie contre laquelle tout traite-