Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/466

Cette page a été validée par deux contributeurs.

VII

À bon oncle, excellent neveu.



Après avoir recommandé une dernière fois son nouvel hôte à son vieux Kervan, Armand de Serville ne s’en était plus autrement inquiété que le lendemain, en le rencontrant dans l’escalier, pour lui adresser un bonjour amical, et les choses avaient repris leur cours ordinaire dans le petit hôtel de la rue d’Assas, où, nous l’avons dit, les bruits du dehors ne pénétraient qu’à peine.

Cependant le peintre se souvenait, malgré lui, de sa conversation politique avec M. de Rennepont, et il commençait à craindre, en voyant le ton violent qu’avait pris la presse radicale, que, comme Cassandre jadis, le général n’eût été trop bon prophète.

Tous les jours, en effet, c’étaient de nouvelles provocations de la part du parti démagogique, tous les jours de nouveaux actes de faiblesse de la part du pouvoir, et lorsque le général Vinoy se décida trop tard à supprimer les journaux les plus exaltés, il devint évident qu’un conflit ne tarderait pas à éclater.

Cependant les bourgeois laissaient faire, les boutiquiers applaudissaient aux incessantes plaisanteries dont le gouvernement était l’objet.

Frondeurs, comme à toutes les époques, les Parisiens riaient de voir que l’autorité ne savait où donner de la tête, et les canons que quelques gardes nationaux conservaient à Montmartre leur semblaient du plus haut comique.

Il fallait, disaient-ils, que le gouvernement fût bien sot pour s’inquiéter un instant de cet arsenal en plein vent, dont les pièces n’avaient ni servants ni munitions. En un mot, ils ne voyaient pas l’abîme qu’ils creusaient eux-mêmes sous leurs pas, par insouciance, jusqu’à ce qu’ils s’y laissassent engloutir, par lâcheté.

Seuls, les étrangers jugeaient mieux la situation. Ceux qui avaient eu le courage ou la curiosité de rester à Paris pendant le siège, aussi bien que ceux qui s’étaient hasardés à y rentrer après l’armistice, s’enfuyaient comme on se sauve d’une ville menacée par la peste.

Ces deux cent mille hommes armés, déshabitués du travail, que rien ne pouvait faire rentrer dans les ateliers, effrayaient instinctivement les gens qui réfléchissaient un peu, et certains quartiers se transformaient rapidement en nécropoles.

Comprenant alors que le péril était réel, Armand venait de se décider, un matin, à proposer à Mme de Rennepont de la conduire en Normandie, quand celle-ci entra dans son atelier.

Il était tellement absorbé dans ses pensées qu’il n’avait pas entendu le roulement de sa voiture.