Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/461

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fauteuil ; alors causons et donnez-moi sur l’intérieur de M. Pétrus les détails nécessaires.

Sans se froisser de ce sans-gêne, Sarah poussa un siège jusqu’en face de Louis et lui apprit ce que nous avons dit de la façon dont vivait son ancien amant.

— Mais ce Kervan, quel homme est-ce ? demanda le jeune homme.

— Un pauvre diable que M. Armand a recueilli après la mort de son oncle. Kervan n’avait plus de famille ; son unique neveu, mousse d’une douzaine d’années, est mort dans un naufrage en Chine ; rien ne le retenant plus en Bretagne, il vint à Paris.

— Il avait un neveu, dites-vous, qu’il croit mort ?

— Qui est mort ; le commissaire de la Danaé lui a envoyé son acte de décès.

— Comment s’appelait-il ? De qui était-il fils ?

— Il s’appelait Jean-Marie. Il était né à Banallec et fils de Bernard Kervan, noyé lui-même au Sénégal avec l’oncle de M. Armand. Pourquoi ces questions ?

— Pourquoi ces questions ! Parce que ce neveu est ressuscité ; parce que le mousse Jean-Marie, c’est moi, et qu’avant deux heures d’ici, lorsque, grâce aux cinq louis que vous allez me donner, j’aurai fait cadeau à la marine de l’État d’un nouveau matelot en grande tenue, le vieux Kervan… Ah ! son nom de baptême ?

— Yves !

— Le brave Yves Kervan, frère de Bernard, serrera dans ses bras, en l’arrosant de ses larmes, son petit Jean-Marie échappé miraculeusement au naufrage. Qu’en dites-vous ?

— C’est hardi !

— Il n’y a que les choses hardies qui réussissent. Mon oncle Kervan m’invitera à revenir le voir, peut-être même me donnera-t-il un lit, car M. Armand de Serville ne refusera pas à son vieux serviteur cette joie d’avoir son neveu près de lui. Le reste me regarde ! Une fois le loup dans la bergerie, je me charge des moutons, ou mieux des poulets.

Et, tout fier de lui, Louis tendit la main pour en recevoir les cent francs qu’il destinait à l’achat de son costume.

Sarah s’empressa de lui compter cette somme.

Voilà comment, deux heures plus tard, la Fismoise voyait entrer chez elle un marin qu’elle ne reconnut pas tout d’abord, mais dont la vue lui arracha bientôt un juron de colère, lorsqu’elle s’aperçut que le nouveau venu n’était autre que son coquin de neveu.

— Ah ! canaille, voleur ! s’écria-t-elle, en le prenant à la gorge. Mes montres, scélérat, ou je te fais arrêter !