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— Oui, madame, répondit-il ; ma tante m’a fait espérer que madame pourrait me faire entrer chez un de ses amis.

— C’est vrai ! poursuivit Sarah Bernier, en s’efforçant de lire sur la physionomie du neveu de la brocanteuse s’il était bien l’auxiliaire qu’il lui fallait.

Mais le vaurien avait sur le visage cet æs triplex qu’Horace veut au cœur des marins, et la comédienne, malgré son regard perçant, n’y fit pas naître le moindre tressaillement.

— M. de Fressantel, dont il s’agit, continua-t-elle alors, est en effet un de mes amis. Arrivé à Paris depuis peu de jours, il n’a pas encore de maison montée et je ne demande pas mieux que de vous recommander à lui ; seulement je voudrais être certaine que… que…

— Que je rendrai fidèlement compte à madame des faits et gestes de mon maître.

— Comment ?

— Tenez, mademoiselle Sarah, dit le neveu de la Fismoise avec effronterie, jouons cartes sur table ; j’étais chez ma tante hier soir, lorsque vous y êtes venue ; j’ai tout entendu, et vrai ! la main sur le cœur, je suis le garçon qu’il vous faut. Je puis même vous être plus utile encore que vous ne le pensez. Surveiller M. de Fressantel, c’est facile, mais s’emparer des lettres de Mme de Rennepont à maître Pétrus, voilà qui est moins commode. Ma tante vous a promis de parler à son frère de cette expédition. Mauvaise affaire ! Mon oncle est pour les moyens violents ; c’est un brutal qui fera du bruit et vous compromettra, tandis que moi…

— Vous ? dit l’actrice stupéfaite.

— Moi, je m’y prendrai autrement. Comment ? je n’en sais rien ; mais vous aurez vos lettres, je vous le promets, foi de Louis ! Nous penserons ensuite à M. de Fressantel.

— Et si je refusais vos bons offices, monsieur Louis ?

— Comme je suis ambitieux et que je veux me faire un avenir le plus rapidement possible, j’irais tout simplement trouver M. Pétrus pour lui raconter le petit complot formé contre lui. Il me paierait mon secret fort cher, plus que les quinze cents francs que vous avez promis à ma tante, et je me retirerais ensuite des affaires pour me lancer dans la politique. Tiens, que je suis bête !… Pourquoi ne prendrais-je pas immédiatement ce parti ? Je ne risquerais rien et gagnerais davantage.

En prononçant ces derniers mots, il avait fait un mouvement pour se retirer.

— Non, j’accepte, dit vivement la jeune femme, tout à la fois effrayée de sentir son secret à la merci d’un tel personnage et convaincue que, pour de l’argent, le chenapan était prêt à tout faire.

— À la bonne heure, vous êtes raisonnable, répliqua-t-il, en s’asseyant dans un