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— Oh ! je savais, monsieur, depuis plus d’un an, que mon bon oncle Yves était chez vous à Paris, car, la première chose que j’ai faite, en arrivant à Toulon, a été d’écrire au pays pour demander des nouvelles de la famille. Seulement je ne connaissais pas votre adresse, mais comme j’ai une langue et qu’on n’a pas fait deux ou trois fois le tour du monde sans être un peu débrouillard ; comme je savais aussi que vous faisiez des portraits, je suis entré chez un marchand de tableaux du boulevard, le premier venu ; il m’a dit où vous demeuriez ; j’ai mis le cap sur la rue d’Assas, et me voilà !

— Bravo ! Jean-Marie ! fit Kervan qui s’était hâté de rejoindre son neveu.

— Vous avez bien fait, reprit Armand ; votre oncle vous logera près de lui pendant votre séjour à Paris.

— Je vous remercie, monsieur, répondit le matelot, mais ça ne sera pas pour longtemps. Tenez, voilà ma feuille de route. Huit jours de permission, pas davantage !

En disant ces mots, Jean-Marie avait tiré de sa poche une feuille de route où le mot impériale après celui : marine, était remplacé à la plume par nationale, et qui lui ordonnait de se présenter à Brest, au bureau des revues, le vingt du mois.

— Jusque-là vous vivrez ici. Il ne sera pas dit que le fils d’un vieux compagnon de mon oncle aura d’autre logis que ma maison. Kervan, installe ton neveu et qu’il ne manque de rien.

— Oh ! merci, monsieur ! dit le fidèle serviteur les larmes aux yeux.

Et il s’empressa d’entraîner le jeune homme dans sa chambre, afin de lui faire raconter comment il avait échappé à la mort.

Le marin apprit alors à son oncle qu’envoyé à terre, à Bornéo, avec six de ses compagnons pour reconnaître la côte, l’embarcation avait chaviré et qu’on l’avait cru noyé, mais qu’il avait pu gagner le rivage, ainsi que deux autres matelots, et qu’ils étaient restés là quatre ans avant d’être rapatriés à Bourbon.

— De Bourbon, ajouta-t-il, j’ai été envoyé en station en Océanie, et je ne suis rentré en France que peu de temps avant la guerre. Vous aviez déjà quitté le pays pour venir à Paris.

— Mon Dieu ! mon bon Jean-Marie, dit Kervan à son tour, lorsque je me suis vu tout seul après la mort de l’oncle de M. Armand, je n’ai plus eu d’autre désir que celui de vivre auprès de son neveu, et, comme il me connaissait déjà, il m’a accueilli. Il n’a pas eu à s’en repentir lorsque le malheur est venu aussi pour lui. À mon tour, je l’ai consolé !

— Comment cela ?

— Oh ! ce ne sont pas là nos affaires. Ainsi, c’est convenu, tu coucheras là, près de moi. Tu seras logé comme un commandant.

— Parfait, mon oncle ; vous pensez si j’accepte ! Je ne vous demande que le