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De là, il aperçut le vieux Breton qui, tout ému, serrait dans ses bras un jeune matelot, et sa surprise augmenta encore.

— Mon bon oncle, disait le marin ; mon bon oncle Yves !

— Mon cher neveu, mon petit Jean-Marie ! répétait le vieillard.

Voici ce qui s’était passé.

Deux ou trois minutes après le départ d’Harris et de son ami, le matelot avait sonné, Kervan était venu ouvrir, et la vue de ce jeune homme et de son costume lui avaient rappelé mille souvenirs, car, lui aussi, il avait servi pendant sa jeunesse et la mer lui avait enlevé deux êtres bien chers : son frère qui s’était perdu au Sénégal avec l’oncle de M. de Serville, et le neveu de ce frère, qui avait embarqué, il y avait déjà près de dix ans, comme mousse, sur la frégate la Danaé, et n’avait plus reparu.

Le commissaire des armements à Brest lui avait dit que l’enfant avait eu le sort du père.

Kervan regardait donc ce nouveau venu avec des yeux étonnés et pleins de larmes, lorsque le marin lui dit :

— Mon oncle, vous ne me reconnaissez pas ?

— Votre… ton oncle, balbutia le vieux domestique.

— Le fils de Bernard Kervan, de Banallec, le mousse de la Danaé !

— Vous… toi ! Tu serais ?

— Votre neveu, mon oncle Yves !

— Mon neveu, mon petit Jean-Marie !

Et le brave Breton, en s’appuyant contre la muraille, car l’émotion le brisait, ouvrit ses bras à son jeune parent.

C’est à ce moment qu’Armand apparut en haut de l’escalier.

Kervan s’aperçut enfin, en éloignant de lui son neveu, comme pour mieux l’admirer à son aise et tout entier, que son maître assistait à cette scène de famille.

— Ah ! pardon, monsieur, pardon ! lui dit-il, mais c’est le fils de mon pauvre Bernard. Il m’arrive là, tout à coup. Moi qui le croyais perdu comme son père !

— Oui, j’ai entendu, répondit le peintre ; fais donc monter ce garçon-là.

Jean-Marie ne se fit pas répéter cette invitation indirecte. Sans attendre son oncle, il grimpa l’escalier en vrai gabier, c’est-à-dire en deux bonds, et vint se placer respectueusement, le chapeau à la main, devant M. de Serville, à qui sa mine éveillée et son air intelligent plurent à première vue.

— Ainsi, lui dit-il amicalement, vous tombez comme cela sur votre oncle, après dix ans d’absence, sans dire gare ! Comment diable avez-vous appris où il était ?