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On eût dit que notre personnage se préparait à passer une inspection générale, tant sa tenue était d’ordonnance.

Il avait enfin la mine d’un gaillard que le sourire d’une jolie fille ne devait pas plus effrayer qu’une empointure de ris à prendre par un gros temps.

Il attendait sans doute, pour se présenter chez le peintre, que celui-ci n’eût plus de visiteurs, car seulement après le départ de la voiture du général, il se dirigea vers le no 124, avec ce dandinement dont les matelots ne peuvent jamais se défaire.

À ce moment même un des traits du coupé dans lequel se trouvaient les deux jeunes femmes s’étant détaché et le cocher ayant mis pied à terre, Marie Dutan vit passer rapidement une voiture dans laquelle elle reconnut le docteur Harris et un étranger.

Elle étouffa un cri de surprise.

— Qu’avez-vous donc ? lui demanda Mme de Rennepont.

— Rien, madame, rien, répondit-elle ; j’avais cru reconnaître quelqu’un.

La vérité, c’est qu’à la vue du docteur Harris, elle avait été reprise de ce pressentiment qui l’avait saisie une première fois, lorsque le médecin américain avait été présenté au général.

Le docteur et l’individu qui l’accompagnait devaient se rendre chez le peintre, et, sans qu’elle sût pour quelle cause, cela l’effrayait.

Harris et son ami allaient, en effet, chez M. de Serville. La jeune comédienne n’en put douter, car, au moment où sa propre voiture s’ébranlait de nouveau, elle aperçut celle du docteur qui s’arrêtait devant l’hôtel de la rue d’Assas.

Elle était arrivée si rapidement au terme de sa course que le jeune marin que Marie avait vu se diriger vers la porte n’avait pas eu le temps de sonner. Il s’était rejeté vivement de l’autre côté de la chaussée, comme s’il eût l’intention bien ferme de ne pénétrer chez maître Pétrus que lorsqu’il ne s’y trouverait plus d’étrangers.

Rien de tout cela n’avait échappé à la perspicacité inquiète de la jeune amie de Mme de Rennepont, qui eût été fort intriguée si elle avait pu entendre le matelot se dire à lui-même, en reprenant sa faction sur le trottoir :

— Encore une visite ! Et des gens huppés, s’il vous plaît ! Nom d’un sabord ! mon oncle sert dans une maison rudement bien ! Pauvre bonhomme, tout de même ! Je voudrais bien le dévisager un peu avant de l’embrasser, car enfin je ne le connais pas du tout cet oncle-là, tandis que mon autre oncle, le bel homme, je ne le connais que trop ! Ah ! le voilà ! Oui, je parierais que c’est lui !

Il venait d’apercevoir Kervan qui ouvrait la porte de la rue.

— C’est bien lui, poursuivit-il. Alors attendons un peu. Ça le gênerait peut-être de me recevoir en ce moment. Allons, Jean-Marie, reprends ton quart et ouvre l’œil !