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— Je savais que vous étiez ici, dit Mme de Rennepont à son mari, après avoir salué le peintre, et comme nous devons partir demain, j’ai voulu faire en même temps que vous mes adieux à notre ami. Or, comme je me suis rendue d’abord à notre ambulance de La Tour-Maubourg, j’en ai ramené Mlle Marie qui s’y trouvait.

La vérité, c’est que Mme de Rennepont, ne voulant pas venir seule chez Armand, était allée tout exprès à l’hôtel Bibesco pour prier la jeune femme de l’accompagner.

— Eh bien ! ma chère enfant, ce sont des adieux anticipés que vous désirez faire là ; je suis venu justement dire à M. de Serville que je vous confiais encore à lui pour quelques jours.

— Comment cela ? demanda Fernande en rougissant.

— Ah ! mon Dieu ! tout simplement parce que je ne sais pas au juste où je vais, et que je ne veux point vous emmener avec moi sans m’être assuré d’abord du campement que j’ai à vous offrir.

— Cependant, mon ami…

— Il n’y a pas de « cependant, mon ami », répéta affectueusement le brave soldat. Toutefois ne craignez rien ; Toulouse n’a pas assez souffert de la guerre pour qu’il n’y ait pas encore quelques bons hôtels, et je n’ai pas besoin de vous promettre que j’abrégerai cette nouvelle séparation autant que possible.

Pendant que le général échangeait ces quelques paroles avec sa femme, Marie s’était approchée de l’artiste et, tout en le complimentant sur une esquisse à laquelle il travaillait, son regard semblait lui dire :

— Prenez garde, ayez du courage pour deux, ou vous êtes perdu !

Quant à Mme de Rennepont, malgré tous ses efforts pour rester maîtresse d’elle-même, elle se sentait épouvantée du nouveau danger auquel la fatalité allait l’exposer. Ce fut en tremblant qu’elle prit le bras de son mari pour sortir de l’atelier, après avoir salué de nouveau M. de Serville, sans même lever les yeux sur lui.

Le coupé du général attendait devant la porte ; il y fit monter sa femme et son amie, en leur disant qu’il avait une course à faire dans le voisinage et retournerait à l’hôtel à pied.

Marie Dutan remarqua alors, au moment où la voiture tournait pour redescendre la rue d’Assas, un jeune matelot qui, campé en face de la maison de maître Pétrus, l’examinait avec une étrange curiosité.

Cet individu, d’une vingtaine d’années à peine, à la mine éveillée, à l’air plein de décision, portait avec beaucoup d’aisance le costume des marins de l’État.

Son chapeau ciré, brillant comme un miroir d’acier, était crânement rejeté en arrière et semblait ne tenir sur sa tête que par un miracle d’équilibre.

Le grand col bleu de sa chemise, réglementairement ouverte et laissant voir son tricot rayé, s’étendait sur ses épaules ; les boutons de sa veste reluisaient comme de l’or.