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Mme de Rennepont ne répondit d’abord que quelques lignes aux lettres d’Armand, puis elle se laissa aller au charme de cette correspondance ; elle se dit qu’elle devait au moins cela à celui qui tenait si bien son serment, et elle se livra alors tout entière, sans arrière-pensée, chaque jour plus fière de son innocence et de son courage, parce que chaque jour elle se sentait aimer davantage.

Mais cette vie trop heureuse ne pouvait durer longtemps ; elle semblait un sacrilège au milieu de l’infortune publique, et l’artiste fut un matin rappelé brusquement à la réalité par sa nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur.

La croix ne lui disait pas seulement qu’il avait bien mérité de la patrie, mais aussi tout ce que la patrie attendait encore de lui, et il se hâta de rentrer dans le bataillon dont il n’avait pas cessé de faire partie.

Loin de lutter contre cette résolution, qui cependant glaçait son cœur d’épouvante, Fernande eut le courage héroïque d’y applaudir, et lorsqu’un matin, le bataillon d’Armand ayant été désigné pour une sortie, celui-ci vint lui faire ses adieux, elle fut assez maîtresse d’elle-même pour lui tendre la main sans trembler et pour lui répondre : Au revoir ! dans un sourire.

Toute cette énergie de l’adorable créature n’était que factice ; car, pendant les trois jours que dura l’absence de M. de Serville, elle fut en proie à une espèce de délire et ne put trouver aucun repos.

Sans Marie, qui s’efforça de la calmer, elle se fût laissée aller au désespoir.

Aussi quand le peintre, sain et sauf, après avoir fait bravement son devoir, reparut brusquement devant elle, au moment où elle ne l’attendait pas encore, la pauvre femme, n’écoutant plus que son amour, oubliant tout : ses serments, sa réserve et ses craintes, se jeta dans les bras de celui qu’elle avait craint de ne revoir jamais.

Puis aussitôt, désespérée, honteuse de cet élan et de cet aveu, elle fit un bond en arrière pour tomber dans un fauteuil, en se voilant le visage dans les mains pour cacher sa rougeur.

Mais Armand l’avait suivie ; il s’était agenouillé devant elle, il couvrait de baisers ses joues inondées des larmes, il murmurait à son oreille des paroles brûlantes. Mme de Rennepont se crut perdue.

Les battements de son cœur l’étouffaient, elle fermait les yeux pour ne pas voir l’abîme vers lequel l’entraînait, tout à la fois douloureux et enivrant, un irrésistible vertige ; elle se sentait mourir et remerciait Dieu de la faire mourir ainsi.

Tout à coup la porte du salon s’ouvrit pour livrer passage à Marie, et l’affolée, s’arrachant brusquement à l’étreinte de celui qu’elle aimait, s’élança vers celle dont l’arrivée la sauvait.

La jeune ambulancière était envoyée par le docteur Harris pour une question de service.

Pendant quelques instants, les acteurs de cette scène gardèrent le silence.

Ce fut la comédienne qui le rompit la première, pour dire à M. de Serville :