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Cette lettre écrite, M. de Serville la fit remettre au domestique de Mme de Rennepont, et il s’étendit de nouveau sur son divan, où, brisé d’émotion et de fatigue, il ne tarda pas à s’endormir.

Moins d’une heure plus tard, il fut réveillé brusquement par le bruit d’une voiture qui s’arrêtait devant sa porte, et il tressaillit, car personne autre que la générale ne savait qu’il était rentré chez lui. Cette voiture ne pouvait être que la sienne.

Tout tremblant alors, il se traîna jusqu’à la porte de son atelier, mais avant même qu’il l’eût atteinte, le brave Kervan l’avait ouverte pour introduire les personnes qu’il précédait.

C’étaient Fernande et Marie.

En reconnaissant Mme de Rennepont, le blessé se sentit défaillir et fut obligé de s’appuyer contre la muraille, mais la jeune femme avait sans doute fait provision de calme et de courage, car, plus maîtresse d’elle-même, elle lui dit en souriant et en s’avançant rapidement de son côté :

— Ami, voilà qui n’est pas bien, et nous allons vous gronder fort, mademoiselle et moi, si vous ne voulez pas être plus raisonnable.

— Madame ! murmura l’artiste.

— Il n’y a pas de « madame », continua Fernande, en le prenant par le bras et en le conduisant doucement jusqu’au divan ; le docteur Harris vous recommande le plus grand calme, le repos le plus absolu, et nous ne sommes ici, toutes deux, que pour faire respecter son ordonnance. Si vous vous révoltez, nous vous abandonnons sans pitié. N’est-ce pas, mademoiselle ?

— Oui, monsieur, dit à son tour la jeune fille : sans pitié ! Et je vous préviens que si Mme de Rennepont avait pour vous quelque faiblesse, vous n’en avez pas à attendre de moi. Elle ne viendrait plus, et je vous soignerais toute seule.

Son regard semblait ajouter ironiquement : Or, moi, je ne vous aime pas !

À ces douces paroles, Armand fermait les yeux comme s’il eût craint, en les ouvrant, de voir s’enfuir cette vision céleste qui lui semblait un rêve, et il se laissait bercer par le bonheur inespéré qui l’envahissait.

À partir de ce moment-là, ce fut, pour notre héros, une existence toute nouvelle, pleine d’heures charmantes que le bruit de la mitraille ne parvenait pas à troubler.

La générale venait tous les jours, et le soir, lorsqu’elle était partie, M. de Serville lui écrivait des pages brûlantes dans lesquelles il mettait toute son âme et se vengeait de son mutisme de la journée.

Le matin, avant qu’elle fût arrivée, il se mettait à l’œuvre qu’il avait entreprise dès qu’il avait pu manier un pinceau, c’est-à-dire au portrait de sa bien-aimée, portrait qu’il faisait de souvenir.

Mais cette œuvre, il ne la montrait à personne, tant il en était jaloux. C’était son trésor, qu’il, dérobait, en avare, aux yeux profanes. Il n’y travaillait que dans sa chambre à coucher, où personne n’entrait jamais.