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lettre, il fut pris d’un sentiment étrange ; il lui semblait qu’elle allait lui annoncer un malheur ; il n’osait l’ouvrir.

Il s’y décida cependant.

La jeune femme lui écrivait :


« Mon ami, il serait indigne de nous de ne pas nous rendre compte de la situation nouvelle que la fatalité nous a faite, de ne pas en comprendre les dangers, de ne pas en accepter courageusement les douleurs. Vous m’aimez et je vous aime, mais nous sommes deux âmes honnêtes qu’une mauvaise pensée ne saurait souiller. Je suis la femme du général de Rennepont dont vous êtes l’ami. Dans sa loyauté de soldat, c’est sous votre protection qu’il m’a mise. C’est là ce que ni vous ni moi ne pouvons oublier.

« Si vous vous sentez assez fort pour me défendre moi-même contre vous ; si vous avez le courage de m’aimer sans espoir, sans remords et sans faiblesse ; si vous pouvez me jurer de ne pas me parler de votre amour, auquel je crois comme je crois en Dieu, reprenons nos relations d’autrefois, restez le protecteur de l’isolée et commandez à votre cœur, afin que, le jour où mon mari reviendra vous demander le dépôt sacré confié à votre honneur, nous n’ayons à rougir ni l’un ni l’autre devant lui.

« Sinon, ne nous voyons plus, séparons-nous, fuyons-nous, dussions-nous en mourir tous les deux.

« Fernande de Rennepont. »


Armand relut cette lettre plusieurs fois, comme s’il eût voulu y puiser le courage qui lui manquait ; puis, d’une main fiévreuse, il répondit :


« Fernande,

« On ne saurait être atteint à la fois par une aussi profonde douleur et par une aussi grande joie. Vous m’aimez, moi, le pauvre délaissé, que vous avez déjà arraché au désespoir et à la mort ; vous m’aimez et vous voudriez que, mon cœur dût-il se briser, je ne sache pas en comprimer les battements pour vous conserver le calme et l’honneur.

« Oh ! ne doutez pas de moi ; j’aurai devant vous tous les courages ; jamais, je le jure, un mot d’amour ne sortira de mes lèvres ; j’éteindrai mes regards, j’étoufferai ma voix ; vous me laisserez vous écrire ; vous laisserez mon âme causer à votre âme, et nous vivrons ainsi, sachant que nous nous aimons, sans nous le dire jamais.

« Si vous me refusiez ce bonheur, je vous obéirais aveuglément ; mais, je le sens bien, je maudirais la main qui m’a sauvé et je n’aurais plus qu’un rêve : celui d’être frappé une seconde fois par une balle ennemie, pour avoir le droit de vous dire une dernière fois : Je vous aime !

« Armand. »