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— C’est le petit enfant ! murmurait-elle… Le petit enfant, vous savez ?… Chut ! il dort.

Les deux ouvriers qui avaient apporté le mort le prirent dans leurs bras et l’étendirent doucement sur le lit.

— Monsieur, demanda alors à Pergous l’individu habillé en bourgeois, vous êtes de la famille ? Moi, je suis le secrétaire de M. le commissaire de police de Bry.

— Non, monsieur, répondit le tripoteur d’affaires, je ne suis qu’un ami, le conseil ordinaire de ces braves gens. Mme Dutan, fort inquiète de l’absence prolongée de son mari, m’a fait appeler pour me prier de me mettre à sa recherche. J’allais me rendre à la Préfecture de police. Elle n’avait que trop raison de craindre un malheur ! Où donc a-t-on trouvé ce malheureux ?

— Ce matin, dans la Marne, au-dessous de Bry. On l’a jeté à l’eau après l’avoir assassiné, c’est certain !

— Assassiné, lui !

— D’un coup de masse sur la tête. C’est sans doute quelque rôdeur des bords de la Marne, pour le voler. Ce sont des pêcheurs qui l’ont aperçu les premiers, quelques instants après le passage du bateau à vapeur, dont le remous l’a soulevé. Ils l’ont hissé sur la berge et sont venus nous prévenir ; puis, au moment, où j’allais, par ordre de M. le commissaire de police de Bry, le diriger sur la Morgue, ces deux braves garçons, qui venaient passer gaiement leur dimanche à la campagne, ont reconnu dans le cadavre un de leurs camarades de chantier, et ils ont voulu l’apporter eux-mêmes ici. Du reste, je savais déjà son nom par le livret que j’avais trouvé dans sa poche.

Depuis la nuit dramatique de l’hôtel de Rifay, Jérôme, qui avait l’intention de chercher de l’ouvrage ailleurs, ne sortait plus, en effet, sans son livret.

On conçoit aisément quel soulagement avaient apporté dans l’esprit de Pergous ces détails si complaisamment donnés. C’était le hasard seul qui avait tout fait !

— Maintenant, monsieur, reprit le secrétaire, il faut que je fasse mon rapport au commissaire de police de ce quartier, qui certainement ordonnera le transport du cadavre à la Morgue, afin qu’on en fasse l’autopsie. Vous retrouverai-je ici ?

— Certes oui ; je n’abandonnerai pas ainsi cette pauvre famille.

— Je pense, d’ailleurs, que M. le commissaire de police désirera recevoir votre déposition.

— Je ne sais rien, malheureusement ; j’avais pu à peine causer avec Mme Dutan, lorsque vous êtes arrivé, mais la justice me trouvera toujours à sa disposition et à ses ordres.

Cette réponse faite avec effronterie, l’agent d’affaires se rapprocha du lit où Lucie gisait toujours étendue, insensible aux larmes de sa fille aussi bien qu’aux soins d’une voisine qui s’était hâtée d’accourir.

Un des ouvriers, sur l’avis de l’employé de la police, était allé chercher un médecin.

Les yeux fixes, les narines dilatées, les membres agités par un mouvement convulsif, la veuve de Jérôme bégayait toujours :

— C’est le petit enfant… Il dort… Les jolis cheveux ! Oh ! pas de bruit !… Il dort !