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Hélas ! moins d’un mois plus tard, la France n’avait accumulé que désastres sur désastres, et la catastrophe de Sedan ouvrait aux Allemands la route de Paris.

Quand Armand apprit cet épouvantable malheur, lorsqu’il comprit que Paris était en danger, il n’hésita point. Laissant son pinceau, il s’enrôla dans l’un des bataillons qu’on formait à la hâte.

Ce premier devoir accompli, il courut chez Mme de Rennepont, pour la supplier de se retirer en Bretagne, chez une vieille parente à lui qui serait heureuse de la recevoir.

— Non, mon ami, répondit Fernande : à chacun sa tâche ! Mon mari est prisonnier ; où ? je l’ignore ; il m’a confiée à vous, je resterai près de vous. Vous vous battrez, moi je soignerai les blessés. Je veux être digne du nom que le général m’a donné.

Armand insista, mais la jeune femme fut inébranlable dans sa résolution ; et quand, le 16 septembre, alors que la capitale allait être investie, il voulut faire une dernière tentative, Mme de Rennepont lui répondit en lui montrant fièrement le brassard à croix rouge qu’elle portait.

Elle était allée offrir ses services, avec deux autres dames de son monde, à l’ambulance qu’un médecin américain organisait dans l’hôtel du prince Bibesco, avenue de La Tour-Maubourg.

Cet hôtel, véritable bijou artistique, construit sur les plans d’un des amis du noble Roumain, M. Le Cœur, était à peine achevé ; mais le prince Georges, qui avait repris du service au début de la guerre et était prisonnier, avait eu le temps d’ordonner à ses gens d’ouvrir sa maison aux victimes de la lutte.

Pendant qu’il se dévouait en Allemagne pour ses frères d’armes, il avait voulu que son hôtel fût inauguré à Paris par une bonne action.

Le médecin américain qui s’était installé, lui et son matériel, dans l’aristocratique demeure, était le docteur Harris, et c’est avec le plus vif empressement qu’il accepta les offres de service de Mme de Rennepont et de ses amies, bien qu’il eût déjà près de lui, pour donner aux blessés ces soins maternels et si précieux, plus puissants souvent que toute la science, un certain nombre de jeunes femmes appartenant au monde des théâtres, entre autres Marie Dutan.

Cette dernière surtout plut à Fernande à la première vue, non pas tant par sa douceur et sa bonté, la générale pensait que c’étaient là des qualités que toutes les femmes devaient avoir, mais surtout à cause de sa physionomie triste et résignée.

Il lui sembla, dès les premiers jours qu’elle la vit, que son air grave, presque austère, lui venait de quelque grand chagrin, et elle se sentit si vivement attirée vers elle, bien qu’elle n’ignorât pas sa situation sociale, qu’elle lui dit un jour :

— Vous êtes de nous toutes, mademoiselle, la plus adroite et la plus courageuse, et je partage, je vous l’assure, la sympathie du docteur Harris pour vous.

Marie s’inclina toute confuse et en même temps bien heureuse de cet éloge ; mais une de ses pudeurs était de comprendre que l’effacement était son devoir au