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et devant dix de ses amis, qu’il avait réunis tout exprès rue d’Assas, Armand démasqua Sarah et la chassa comme il eût chassé une fille.

Celle-ci sortit de chez son amant en jurant de se venger, et, dès cette époque, elle devint l’inséparable de la comtesse Iwacheff, qui partageait si complètement sa haine pour celui qu’elles avaient aimé toutes les deux.

Quant à Marie Dutan, en apprenant ce qui s’était passé entre Pétrus et Sarah, n’osant aller voir le peintre, elle lui avait écrit pour lui exprimer avec tout son cœur, la part qu’elle prenait à son chagrin.

Touché de ce souvenir de la jeune fille, Pétrus lui avait répondu dans les termes les plus affectueux ; mais il avait ensuite fermé sa porte à tous, et il songeait à s’expatrier lorsqu’un vieil ami de sa famille, le général de Rennepont, qui avait été informé de sa résolution, vint le trouver, et le releva par de si bonnes paroles que l’artiste reprit courage, s’efforça de croire qu’il n’avait fait qu’un mauvais rêve et se remit au travail, tout en s’isolant du monde où il craignait de rencontrer celle qui l’avait si indignement trompé.

Un an s’était écoulé, et Armand commençait à oublier tout à fait Sarah, lorsqu’il reçut tout à coup la visite de M. de Rennepont, qu’il croyait en province.

Le général apprit en même temps à son jeune ami qu’il venait habiter Paris, où le ministre l’avait appelé, et qu’il allait se marier, non par amour, mais pour tenir la promesse qu’il avait faite à un frère d’armes, mort à ses côtés, à Magenta.

Le fait était absolument exact. Après la guerre d’Italie, M. de Rennepont avait recueilli la fille du capitaine Duré, l’avait fait élever au couvent, et comme il était sans proches parents, il avait résolu, pour que sa fortune ne passât pas à des collatéraux éloignés et inconnus, d’épouser cette jeune fille et d’en faire son héritière.

Mlle Duré avait dix-huit ans, mais bien qu’elle n’eût jamais quitté les Sœurs qui l’avaient élevée, elle savait ce qu’elle devait au vieil ami de son père. Aussi ne fut-elle pas surprise lorsque M. de Rennepont lui dit :

— Ma chère Fernande, j’ai promis à ton père de te protéger ; te voilà bientôt en âge de te marier, je n’ai ni parents ni amis qui puissent te présenter dans le monde et te guider dans le choix d’un époux ; veux-tu devenir ma femme, c’est-à-dire la maîtresse de ma maison et l’héritière, sans contestation, sans procès possible, d’une fortune que j’ai toujours eu l’intention de te laisser ?

Fernande, dont le cœur était calme et loyal, demanda seulement vingt-quatre heures pour réfléchir, et le lendemain, sans embarras, sans phrases, elle tendit la main à M. de Rennepont en lui disant :

— Général, je serai votre femme quand vous voudrez. Vous m’avez fait une jeunesse heureuse, je ne connais pas d’homme plus digne que vous d’affection, de dévouement et de respect.

Un mois plus tard, Mlle Duré était Mme de Rennepont, et le général en rentrant dans son hôtel avec sa jeune femme, la prit sur ses genoux comme il le faisait lorsqu’elle était enfant, et lui dit, en tremblant un peu :