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portrait, en bergère Watteau, de cette jolie Marie Dutan, qu’il avait arrachée à la mort et délivrée des poursuites de l’ignoble Pergous.

Cette toile remarquable avait valu à Pétrus une deuxième médaille, et lui avait aussi rapporté l’amour de son modèle, amour timide, discret, dont la pauvre enfant avait d’autant plus souffert que son sauveur ne s’en était aperçu que trop tard, alors que seule, sans famille, sans soutien, elle était devenue, par lassitude, la maîtresse de l’un des amis de celui dont elle n’avait pu être aimée.

Déjà connue par son portrait, jolie, intelligente, suffisamment instruite, adorée du galant homme auquel elle s’était donnée par désespoir, Marie était entrée au théâtre, où elle avait rapidement pris place parmi les plus charmantes comédiennes de Paris.

Dans le monde où elle vivait, gaie d’une gaieté factice, se souvenant toujours du passé parce qu’elle aimait toujours Armand, on l’avait surnommée Saphir, mais elle était loin d’être heureuse. Ceux qui la connaissaient bien comprenaient qu’elle n’était pas faite pour cette existence frivole, et lui témoignaient un certain respect.

La douleur de Marie devint encore plus grande lorsqu’elle sut qu’Armand de Serville était sérieusement épris d’une jeune fille qui avait débuté avec succès à l’Odéon, en sortant du Conservatoire.

Cette débutante, dont la beauté candide avait séduit le peintre, était Sarah Bernier.

Pendant plusieurs mois, elle résista, mais, un beau soir, son directeur reçut d’elle une lettre lui annonçant que, pour des raisons de santé, elle était obligée d’aller dans le Midi, et le lendemain, tout Paris savait, grâce à l’indiscrétion des journaux, que la jolie pensionnaire du second Théâtre-Français était partie pour l’Italie avec maître Pétrus.

On parla de cet enlèvement pendant huit jours, puis plusieurs mois s’écoulèrent et on ne pensait plus depuis longtemps ni à Sarah ni à son amant, lorsqu’ils éveillèrent de nouveau tous deux la curiosité parisienne, en se séparant brusquement après une scène scandaleuse dont l’atelier de la rue d’Assas avait été le théâtre.

Tout naturellement, cette rupture fit grand bruit, et bientôt on en connut les motifs honteux pour Sarah Bernier.

Au lieu d’être épris d’une jeune fille naïve et pure, Armand de Serville avait tout simplement donné son cœur, avec l’intention peut-être de donner son nom, à une courtisane de bas étage qui, tout en suivant les cours du Conservatoire, était devenue une des fidèles du salon de la Louve et la maîtresse de plusieurs des débauchés qui fréquentaient l’hôtel de la rue de Monceau.

Lorsqu’il eut acquis la certitude que toute cette infamie était bien réelle, le peintre faillit devenir fou de douleur et de désespoir. Il avait été l’objet de la risée de ceux qu’il croyait envieux de son bonheur ; et c’était encore à cette misérable Jeanne Reboul qu’il devait cette déception, car il ne doutait pas, et il avait raison, de la complicité de l’ex-madame de Ferney dans toute cette affaire.

Ni sa bonne éducation, ni son respect de lui-même, rien ne put retenir sa colère,