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Enfant d’un père déporté en 1852, jetée sur le pavé à seize ans, par une mère qui, en agissant ainsi, ne faisait pour sa fille que ce que sa mère avait fait pour elle-même, elle avait marché au hasard dans la misère, jusqu’au moment où sa beauté l’avait précipitée dans le vice.

Ce qu’elle avait fait jusqu’à vingt ans, elle ne s’en souvenait pas ; puis un jour elle avait rencontré Charles, ouvrier laborieux, intelligent, mais faible de caractère, et comme elle était de la race de ces femmes qui veulent battre ou être battues, souffrir ou torturer, avoir un maître ou un esclave, elle s’était mise à aimer cet homme sans énergie et l’avait amené facilement à ne plus agir et penser que selon son caprice.

Quant à Charles, son affection pour Clara avait été d’abord le sentiment calme et paisible dont il était capable ; son sang s’étant ensuite échauffé au contact de sa sauvage maîtresse, il en était devenu jaloux.

Plus tard, lorsque, pendant la guerre, il l’avait vue en costume de cantinière supporter le froid, la faim et affronter les balles avec le courage d’un soldat, il s’était senti faible devant elle, et son amour s’était fait adoration.

Fils d’une brave femme du peuple, qui était la sœur de ce digne prêtre, l’abbé Colomb, que nous avons vu jadis à l’hôtel de Rifay, au chevet de Mme de Ferney, et plus tard, rue de Monceau, auprès de la petite Gabrielle mourante, Charles, à la première menace de Clara de ne plus le revoir, avait quitté ces deux êtres qu’il aimait cependant du fond de son cœur, pour vivre et souffrir auprès de celle qu’il avait peur de perdre.

Cet ouvrier n’avait certainement jamais lu Proudhon ; il ne savait pas ce qu’on entendait par les immortels principes et ne comprenait pas davantage ce qu’on voulait dire par Commune et Socialisme ; mais après s’être bravement battu contre les Prussiens par haine de l’étranger et parce que sa maîtresse le suivait des yeux, il avait, lui aussi, crié : « Vive la République ! » parce qu’elle le lui avait ordonné.

Elle lui eût commandé de commettre un crime qu’il eût peut-être obéi.

Ces deux êtres vivaient donc ensemble, liés l’un à l’autre par une chaîne que leurs contrastes mêmes avaient forgée et que rien ne pouvait rompre.

Ce n’était plus qu’en tremblant que Charles s’échappait de loin en loin pour visiter sa mère et son oncle, quoique pendant la durée du siège le hasard des combats l’eût rapproché parfois de ce dernier, qui, comme tant d’autres prêtres, avait mis son dévouement et son inépuisable charité au service des ambulances.

Clara avait deviné ces rares visites de son amant à sa famille, et elle les lui reprochait avec violence. Elle était même jalouse de ces saintes relations.

Cet homme était sa chose, son bien ; lui ravir une seconde de son temps, une parcelle de son cœur, était commettre à son endroit un vol dont l’idée seule la transportait de fureur.

Aussi haïssait-elle particulièrement l’oncle de Charles, car elle n’ignorait pas les efforts qu’il tentait, depuis un mois surtout, pour le détacher d’elle, convaincu