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de Jeanne Reboul, en ôtant ses gants et en faisant signe à son compagnon de l’imiter ; mais j’ai peur que nous n’arrivions ici trop tard.

— Il est dix heures à peine, répondit Justin Delon, à qui nous rendons son véritable nom pour la clarté de notre récit, et la réunion avait ce soir un programme trop important pour qu’elle soit déjà terminée.

— Il se peut que vous ayez raison, répliqua l’Américain, et que l’assemblée soit encore au grand complet, car les boutiques des marchands de vin sont vides.

Tout en échangeant ces quelques paroles, ils avaient atteint la rue de Paris et la remontaient, non plus dans la solitude qu’ils avaient remarquée sur le boulevard extérieur, mais en se frayant un passage à travers les groupes pressés et tumultueux qui occupaient toute la largeur de la chaussée.

Arrivés en face du numéro 8, c’est-à-dire à l’entrée du bal des Folies-Belleville, où se tenait la réunion publique à laquelle ils voulaient assister, ils y trouvèrent une foule si compacte qu’ils durent renoncer à pénétrer dans la salle par l’entrée ordinaire.

Harris entraîna alors son ami quelques pas plus haut, et, prenant à droite une ruelle obscure, il la suivit presque à tâtons jusqu’à une petite porte qui donnait dans le fond de la salle des Folies-Belleville, et n’existait que pour les intimes du lieu.

Il paraît que le docteur était de ceux-là, car la porte s’ouvrit à son premier appel, et ils purent enfin pénétrer dans l’enceinte sacrée.

C’était une grande pièce quadrangulaire, aux murailles maculées, au parquet boueux, et où l’air était à ce point vicié que les becs de gaz et les lampes y brillaient à peine comme des nébuleuses.

Sur trois de ses côtés, à une huitaine de pieds de hauteur, il régnait une large tribune réservée aux consommateurs les jours de bal.

Le mur avait été orné dans le principe d’un papier à six sous le rouleau, qui avait depuis longtemps disparu. Il n’en restait çà et là, que quelques lambeaux usés par le dos des clients, graissés par leurs têtes, noircis par leurs mains ou rayés par le frottement des allumettes.

Au-dessous de cette galerie s’étendait un promenoir où, lors des réunions publiques, ainsi que dans les soirées de fêtes, allaient et venaient les promeneurs.

Au centre de la salle, là où s’escrimaient d’ordinaire les Terpsichores et les Polytes du lieu, on avait, pour les assemblées politiques, rangé quelques douzaines de bancs de bois empruntés aux écoles communales voisines, afin que les affamés de la manne démagogique pussent entendre sans fatigue tous les discours qu’il plaisait à leurs orateurs aimés de leur débiter du haut de la tribune, qui tenait le quatrième côté de l’enceinte.

Inutile d’ajouter que c’était là, de la part du bureau de la réunion des Folies-Belleville, un luxe superflu, et que l’assistance ne se servait de ces bancs que pour s’y tenir debout.