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peut-être n’avait d’autre intention que de se ménager ainsi une sortie toute naturelle.

— Je veux que tu me fiches la paix, murmura la marchande à la toilette, et toi aussi, Pierre. Que le diable vous emporte !

— Il n’y a personne ? demanda à ce moment une voix de femme dans la rue.

— Si fait, madame, répondit une autre voix, j’aperçois de la lumière.

— Une femme ! fit le forçat en relevant ses longs cheveux de ses mains osseuses, une femme ! Il faut ouvrir, il faut ouvrir !

— Filez-moi d’abord tous deux dans la pièce là-bas et restez-y sans bouger, répliqua Françoise en poussant son frère et son neveu dans la salle du fond, sinon, il n’y aura pas de menaces qui tiennent, vous n’aurez pas un sou.

Et laissant Louis et Pierre dans l’obscurité, elle vint ouvrir la porte du magasin à ce troisième visiteur nocturne.

C’était en effet une femme, ainsi que l’avait deviné Méral, mais le visage couvert d’un voile épais et enveloppée dans un grand manteau qui ne permettait pas de la reconnaître à sa tournure.

La boutiquière lui livra passage, ferma la porte derrière elle et, déposant sa lampe sur un des nombreux meubles qui encombraient le magasin, attendit que l’étrangère voulût bien parler.

— Sommes-nous seules ? dit, celle-ci après avoir jeté un coup d’œil rapide autour d’elle.

— Parfaitement seules, madame, répondit la marchande à la toilette en soulevant la lumière pour éclairer le moindre recoin de la pièce.

— C’est que j’ai à vous parler de choses sérieuses, continua la nouvelle venue en relevant son voile.

— Mademoiselle Sarah ! fit la Fismoise avec surprise, en reconnaissant dans sa visiteuse une de ses plus anciennes pratiques qu’elle n’avait pas vue depuis longtemps. Par quel hasard ? Asseyez-vous donc.

Et elle roula avec empressement jusqu’à l’amie de la Louve le fameux fauteuil qu’elle se réservait ordinairement. Puis, se contentant d’un escabeau, elle se rapprocha curieusement de la jeune femme et l’interrogea du regard.

— Voilà ce que c’est, dit Sarah à demi-voix. Vous savez le tour infâme que m’a joué Pétrus ? M. de Serville, non content de se séparer de moi brutalement, sans motifs, pour être à son aise l’amant d’une autre femme, m’a empêchée d’entrer au Théâtre-Français, dans l’espoir que, froissée dans mon amour-propre d’artiste, j’accepterais un engagement à l’étranger. Il eût été débarrassé de moi.

— Oui, vous m’avez raconté cela jadis.

— Eh bien ! je veux me venger. Mme de Rennepont, la femme du général, est