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de dix ans à Clairvaux pour avoir donné son compte à un des gardiens. Le gouvernement voulait me faire exécuter un voyage de long cours. Moi, je n’aime pas la mer et j’ai filé avec deux camarades. Seulement Paris n’est pas aussi tranquille qu’on me l’avait dit. Il y a toujours cette satanée police de sûreté avec ses mouchards. En attendant que toute cette engeance maudite disparaisse, — laisse faire, ça ne sera pas long, — je viens le demander de me cacher.

— Comment ! te cacher, ici, moi ?

— Dame ! Je ne peux pas me réfugier aux Tuileries, bien que l’empereur n’y soit plus.

Ne sachant que répondre, car elle craignait la colère de son frère, si elle le renvoyait, la Fismoise jetait des regards inquiets vers la porte qui séparait de son magasin la pièce où elle se trouvait.

Il lui semblait y voir son neveu appuyé contre la cloison, ne perdant pas un mot de cette conversation.

C’était la vérité, mais non pas complète, car Louis, qui n’avait qu’une médiocre confiance dans les promesses de sa tante, avait encore mieux employé ses loisirs.

Il s’était hâté de profiter de son premier moment de solitude dans la boutique pour faire main basse sur les menus objets qu’il avait rencontrés çà et là, à sa portée.

Seulement, comme l’obscurité l’avait forcé de manœuvrer au hasard, il avait glissé dans les immenses poches de sa longue livrée les choses les plus dissemblables : deux ou trois montres, tout désolé qu’il fût de ne pouvoir se rendre compte au toucher si elles étaient en or, en argent ou tout simplement en aluminium, métal pour lequel son mépris était profond, une demi-douzaine de foulards, une boîte de rasoirs, trois ou quatre chemises d’homme ou de femme, — il était sans préjugés, — une paire de pistolets et un cornet acoustique, qu’il avait pris pour une corne d’abondance.

Ce n’est qu’après cette razzia, opérée en un tour de main et qui lui procurait au-dessous des reins une gibbosité digne de rivaliser avec celle de son oncle, que l’excellent neveu de la Fismoise s’était rapproché de la porte et avait assisté, de auditu, à la reconnaissance de sa tante et de son frère.

— Ingrat que j’étais, avait murmuré l’aimable sujet, moi qui me disais sans famille !

Puis il était devenu attentif, comme s’il eût assisté à un drame de l’Ambigu.

— Tu ne me réponds pas, dit Pierre qui avait remarqué le trouble de sa sœur. Est-ce que tu ne serais pas seule ?

Le forçat venait de surprendre un second coup d’œil désespéré que Françoise avait jeté du côté de la porte.

— Si fait, je suis seule, fit-elle en balbutiant. Que veux-tu ?