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chambre avait servi un poulet froid, un pâté de foie gras, une bouteille de vieux Bordeaux et des fruits.

Les gens de la maison étaient stylés : ils savaient qu’ils devaient faire en sorte qu’on n’eût besoin d’eux que le moins fréquemment possible.

La Louve jeta un coup d’œil satisfait sur le souper et prit place dans un fauteuil au coin du feu, en priant son amie de lui découper une aile de volaille.

Celle-ci obéit, s’empressa même de verser à boire à la comtesse et l’interrogea ensuite du regard.

— Oui, ma chère enfant, se décida alors à dire l’ancienne maîtresse de Justin Delon, le docteur américain n’est venu me voir que pour me parler de toi. D’abord, une question : Détestes-tu toujours Pétrus autant qu’autrefois ?

— Parbleu ! répondit Sarah en mordant à belles dents dans une poire.

— Eh bien ! je crois que le moment est venu pour toi de te venger de lui et de Mme de Rennepont, et de me venger en même temps.

— Bien vrai ! fit la jeune femme avec un éclair de haine dans les yeux. Comment cela ?

— Je vais te le dire. Armand habite encore rue d’Assas ?

— Toujours.

— Son personnel, le connais-tu ?

— Non ; je sais seulement qu’il a toujours près de lui Kervan, ce vieux breton qu’il a pris à son service après la mort de son oncle l’amiral. C’est un homme qui lui est tout dévoué et dans lequel son maître a la confiance la plus illimitée. En voilà encore un que je ne porte pas dans mon cœur ! Lorsque j’ai rompu avec Armand, il a été brutal envers moi comme un bouledogue.

— Pétrus est-il à Paris en ce moment ?

— Il ne l’a pas quitté pendant la guerre.

— Que je suis sotte ! la générale y était. Comment vit-il ?

— Il ne sort de son atelier, depuis la paix, que pour faire, de quatre à cinq heures, une promenade à cheval ; puis il rentre chez lui, s’habille et va dîner à son cercle, où il reste jusqu’à dix heures.

— C’est admirable, et décidément le docteur Harris me plaît beaucoup. Il m’avait affirmé que tu savais l’emploi que ton ancien amant faisait de son temps, heure par heure…

— Mais, ma vengeance ! ma vengeance !

— Notre vengeance, veux-tu dire ! Patience ! Prends donc un doigt de ce Château-Laffitte ; il est parfait. Heureusement que les réquisitionnaires ne l’ont pas enlevé.