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Il y descendit le poids et deux avirons, et remonta sur la berge. Les rives du fleuve étaient désertes.

Rentré dans son jardin, il gagna la serre, en tira le cadavre, lui passa la corde autour des reins et le traîna jusqu’à l’escalier d’où il le descendit dans le canot.

Cela fait, il poussa au large, et après avoir attaché à la corde la masse de fer, il fit glisser le cadavre dans la rivière, mais en conservant le poids à bord, de sorte que le corps était tout simplement à la traîne, pour nous servir d’une expression maritime qui rend bien la manœuvre de Pergous.

Il arma ensuite ses deux avirons et, s’en servant en homme du métier, commença à remonter la Marne, sans se rapprocher des rives.

Le ciel était noir, sans étoiles ; l’horizon se perdait dans la brume. On eût dit que la nature elle-même protégeait le misérable.

Le cadavre traçait son sillage sinistre à l’arrière de l’embarcation.

Le lugubre canotier dépassa ainsi le viaduc de la ligne de l’Est, et parvenu à un ou deux kilomètres au-dessus de Bry, il laissa glisser hors du canot la masse de fer, dont la pesanteur entraîna le corps au fond de la rivière.

Cette horrible besogne accomplie, l’agent d’affaires poussa un soupir de satisfaction et murmura :

— Maintenant, s’il revient sur l’eau, ce sera du moins assez loin de chez moi pour qu’on ne puisse jamais me soupçonner d’avoir joué un rôle dans sa disparition.

Et, reprenant ses avirons, il redescendit le courant.

Vingt minutes plus tard, il débarquait en face de son jardin, amarrait son bateau et rentrait chez lui pour remettre un peu d’ordre dans sa toilette.

Puis tout cela fait, il courut à la gare. À minuit et demi, il était de retour chez lui, à Paris, où bientôt il s’endormait le plus paisiblement du monde.

De son horrible excursion, il n’avait rapporté que de la fatigue.

Le lendemain matin, son premier soin fut de se procurer une caisse assez grande pour contenir le précieux coffret, et il avertit Philidor que, le soir même, il ferait porter à son domicile, à Levallois-Perret, les dossiers dont il lui avait parlé.

Pergous n’avait plus qu’un danger à craindre : celui qui pouvait naître des révélations de Mme Dutan. Pour les conjurer, beaucoup plus que pour tenir la promesse qu’il avait faite à la malheureuse femme, il prit vers deux heures, après son déjeuner, la route de la rue Vandrezanne.

Il serait impossible de peindre l’état dans lequel il trouva Lucie et sa fille.

Mme Dutan s’était bien gardée de communiquer à Marie les véritables causes de l’absence de son père, car elle ne voulait pas que cette enfant connût jamais la mauvaise action dont il s’était rendu coupable, mais elle n’avait pu lui cacher les angoisses qui la torturaient, et son exaltation était effrayante.

— Eh bien ? dit-elle à l’agent d’affaires en s’élançant à sa rencontre, haletante, les yeux pleins de larmes.

— Rien de nouveau, répondit le misérable, sans que cet odieux mensonge fît monter le rouge à son front ; mais c’est peut-être tant mieux, car s’il était arrivé un malheur à Jérôme, vous le sauriez déjà. Les mauvaises nouvelles vont vite !