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siège à Paris. Il dirigeait l’ambulance que le prince Georges Bibesco a fait installer dans son hôtel de l’avenue de La Tour-Maubourg. Je l’ai souvent rencontré là, car, moi aussi, j’ai été ambulancière avec cette Marie Dutan, dont l’imbécile Pétrus a fait le superbe portrait que vous savez, et la femme du général de Rennepont, dont notre ex-amoureux, Armand de Serville, doit être l’amant.

— Que peut me vouloir ce médecin-là ? demanda la Louve en souriant de l’accent haineux avec lequel sa jeune amie avait prononcé ces paroles.

— Vous allez le savoir, répondit Sarah. On croit qu’il est membre de l’Internationale et agent secret de je ne sais quoi. C’est un homme tout mystérieux. Il a une grande influence dans le parti radical, cela est certain.

— Mais je ne m’occupe pas de politique, moi, Dieu merci ! Enfin, nous allons bien voir. Jean, faites entrer.

— C’est que cette personne n’est pas seule, observa le domestique à demi-voix ; elle est avec un de ses amis, et, comme ces messieurs désiraient être reçus en particulier, je les ai fait entrer dans le boudoir.

— C’est bien, j’y vais !

Et, après avoir prié son amie Sarah de la remplacer auprès de ses invités et de ne pas trop maltraiter M. de Fressantel, car il pourrait se faire, après tout, qu’il épousât sa tante un jour ou l’autre, c’est-à-dire qu’il redevînt riche et, par conséquent, intéressant, la Louve passa dans la pièce où les visiteurs inconnus avaient été introduits.

Tout d’abord, la comtesse Iwacheff pensa que ces deux hommes lui étaient, en effet, étrangers, et après avoir répondu au salut de celui qui se trouvait en pleine lumière, elle leur offrait du geste des sièges, lorsqu’elle étouffa un cri de stupéfaction.

Dans le second de ces personnages, elle venait de reconnaître Justin Delon, ce premier amant qu’elle avait si odieusement trahi pour faire endosser à M. de Serville la paternité de l’enfant qu’elle portait dans son sein.

Entre elle et l’ex-intendant de la Marnière, il y avait trop de crimes et trop de sang pour que sa vue ne lui causât point une émotion terrible. Tout son passé de honte se dressait subitement devant elle.

Mais Justin Delon avait sans doute prévu l’effet que produirait son apparition sur son ancienne maîtresse, car il ne sourcilla pas, et le docteur Harris lui dit du ton le plus calme, comme s’il était indifférent à cette reconnaissance :

— Pardonnez-nous, madame, de venir ainsi chez vous sans parrains. Nous avons bien certainement des amis communs et j’aurais pu me munir de quelque lettre d’introduction, mais le temps presse, et ce dont je désire vous entretenir doit rester tout à fait entre nous. Permettez-moi donc de me présenter moi-même. Je suis le docteur américain Harris ; mon ami et compatriote est M. William Burton.