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à Paris et ceux qui ne l’avaient pas quitté s’étaient empressés de se rendre à sa première invitation.

Ils allaient retrouver, rue de Monceau, de vieilles connaissances, savoir ce qu’étaient devenus les disparus et apprendre ce qui s’était passé à l’étranger pendant ces six mortels mois de séparation.

Aussi, le soir dont nous parlons, vers dix heures, une vingtaine de visiteurs au moins faisaient-ils cercle autour de la maîtresse de la maison causant plus, hélas ! d’aventures galantes que des événements terribles dont la France souffrait si cruellement.

Nonchalamment blottie dans un fauteuil, auprès duquel se tenait une jeune femme blonde, assez jolie, mais à la bouche moqueuse et aux regards mauvais, la Louve criblait de ses sarcasmes un de ses invités que nous connaissons déjà, M. de Fressantel, qui, du reste, ripostait sans trop d’aigreur et avec une certaine liberté d’esprit aux attaques de la méchante créature.

— Ainsi, c’en est donc fait, mon pauvre Gaston, lui dit la comtesse en manière de péroraison ; il vous faut renoncer à l’héritage du général. À votre place, je ne m’en consolerais jamais !

— Moi, je suis tout consolé, répondit le jeune homme, et je vous assure que je n’en veux pas du tout à mon pauvre oncle. Il est probable qu’il s’était marié un peu dans l’espoir d’avoir des enfants. Le véritable malheur, c’est que sa femme ne lui ait pas donné un fils.

— Pourquoi ? N’êtes-vous pas là pour que le nom de Fressantel ne tombe pas en quenouille ? Maintenant que nous voilà en République, profitez-en vite pour épouser quelque riche fille de roturier, dont la dot vous permettra de redorer votre blason.

— Il y a un moyen bien simple, interrompu la jeune femme assise auprès de la Louve : que Gaston épouse la veuve de son oncle !

— C’est vrai ! voilà une solution. Cette chère Sarah a toujours d’excellentes idées ! Avec cela que Mme de Fressantel perdra au change ! Votre oncle, mon cher ami, n’était plus jeune. Tôt ou tard, votre jolie tante lui aurait donné pour suppléant l’un de ses aides de camp. Les événements, au contraire, protègent sa vertu en lui permettant de prendre un nouveau mari. Tout est donc pour le mieux !

La comtesse Iwacheff fut interrompue dans ces plaisanteries cyniques par l’entrée d’un valet de pied, qui lui remit sur un plateau d’argent une carte de visite qu’elle lut deux fois avec étonnement. Le nom qu’elle portait lui était inconnu.

— Le docteur Harris ? dit-elle en épelant ce nom pour la troisième fois. Connaissez-vous ce médecin-là, ma chère Sarah ?

— Oui, certes, répondit la jeune femme. C’est un étranger, un Américain, dit-on ; mais j’ai quelque idée qu’il dissimule sa véritable nationalité, car il parle l’allemand comme un Berlinois. En tout cas, c’est un praticien fort habile ; il a passé tout le