Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/400

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il aperçut alors une jeune domestique, la nourrice sans doute, qui portait dans ses bras un enfant d’une année à peine.

C’en était assez pour M. de Fressantel, et, sans la pression de main de son ami, qui le rappela immédiatement à lui, il eût certainement perdu la tête et trahi ses impressions odieuses.

Faisant aussitôt un effort suprême, il se remit assez bien et offrit le bras à la jeune veuve, qui ne pouvait se douter de la haine qu’elle venait de faire naître.

— Avec tout ça, v’là ma position flambée ! dit Louis, qui n’avait rien perdu de cette scène. Pauvre jeune homme ! il n’aura pas eu longtemps les millions de son oncle ! J’aime autant ma tante Françoise ! Après tout, qui sait ? Les enfants, c’est pas immortel ! Il m’intéresse, moi, le petit baron ; je veux le servir tout de même.

Et grimpant l’échelle avec l’agilité d’un mousse, il passa irrévérencieusement entre Félix Pyat et son mystérieux ami, pendant que le brave capitaine du Prince-Impérial murmurait, en suivant des yeux quelques-uns de ses passagers :

— Malheureux pays ! ce n’était pas assez de la guerre et de l’invasion ; maintenant que tu es sans défense, voilà, comme toujours, les oiseaux de proie qui se jettent sur ton corps sanglant !


II

Le salon de la Louve.



Peu de jours après les scènes que nous venons de décrire, et bien que Paris fût encore en deuil, il y avait cependant soirée dans ce petit hôtel de la comtesse Iwacheff, rue de Monceau, où nous avons jadis introduit nos lecteurs.

Il est vrai que c’était une soirée discrète, honteuse pour ainsi dire, car les épais rideaux des salons laissaient à peine filtrer au dehors quelques rayons de lumière, et les invités ne paraissaient se glisser qu’en se dissimulant dans cette élégante demeure, qui, après être restée close pendant plus de six mois, rouvrait pour la première fois sa porte à ceux de ses anciens visiteurs que les champs de bataille ou l’exil n’avaient pas gardés.

Après avoir passé le temps du siège en Belgique, la maîtresse du logis s’était hâtée de rentrer chez elle aussitôt que l’armistice le lui avait permis, et en retrouvant sa maison en fort bon état, — les boulets prussiens l’avaient épargnée et ses gardiens