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en jetant des regards orgueilleux vers l’horizon, où le phare de Calais apparaissait au-dessus des flots comme une étoile.

Il ne s’aperçut pas du sourire de mépris et du haussement d’épaules de son interlocuteur.

Pendant ce temps-là, il se tenait une conversation d’un tout autre genre à l’avant du Prince-Impérial, entre deux jeunes hommes qui avaient bien évidemment cherché l’isolement en se réfugiant dans cette partie du navire, car ils étaient passagers de première classe. Il était facile de le deviner aux chaudes pelisses de fourrure dont ils étaient enveloppés.

Jeunes et élégants, ils avaient un certain air de ressemblance, bien qu’ils ne fussent pas parents. Ils le devaient sans doute à ce qu’ils étaient blonds tous deux, de la même taille et qu’ils avaient vécu ensemble de la même vie désœuvrée depuis plusieurs années.

Nos lecteurs, nous l’espérons du moins, n’ont pas oublié ces deux personnages, MM. du Charmil et de Fressantel, qui ont joué un si triste rôle dans le duel entre le comte de Platen et Raoul de Ferney, l’un des épisodes les plus dramatiques de la Comtesse Iwacheff, dont cette troisième partie de Sang-Maudit est la suite.

Ces deux jeunes hommes, eux aussi, rentraient en France, après s’être réfugiés bravement en Angleterre, en emportant tout l’argent qu’ils avaient pu réunir.

Seulement, le siège de Paris ayant duré plus longtemps qu’ils ne l’avaient prévu, l’armistice était arrivé pour eux bien à propos. Huit jours plus tard, ils en eussent été réduits aux expédients pour vivre.

Du Charmil n’aurait pu s’adresser à son père, qui était sans fortune et, d’ailleurs, ne voulait plus entendre parler de lui. Quant à M. de Fressantel, il n’eût jamais osé écrire à sa famille ; elle devait le penser faisant le coup de feu contre les Prussiens.

De plus, enfin, il avait appris que la propriété restée son unique ressource, car il était à peu près ruiné, avait été pillée et incendiée, et pendant quelques jours, il s’était demandé si ce qu’il avait de plus simple à faire n’était pas de se brûler la cervelle.

Tout, même la mort, lui semblait préférable à une existence autre que celle qu’il avait menée jusque-là, et il allait peut-être en arriver à l’exécution de son projet, lorsque du Charmil le trouva un beau matin, alors qu’il l’avait laissé triste et désespéré la veille, bondissant de joie et chantant à tue-tête, dans la petite chambre qu’il occupait à Oxford’s hôtel.

L’explication de ce changement subi était tout entier dans un entrefilet du journal l’International, ainsi conçu :


« Le brave général de Fressantel vient de succomber aux suites des blessures qu’il avait reçues à Saint-Privat. »


Or, ce général de Fressantel était son oncle, et sa mort le faisait héritier de toute sa fortune ; plus de cent mille livres de rente.