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À six heures, après s’être assuré que tous ses employés étaient sortis, l’ex-avoué appela Philidor.

Celui-ci, qui guettait impatiemment ce moment fortuné, accourut.

— Prenez un siège, lui dit Pergous, j’ai à causer avec vous.

Son long clerc s’étant assis timidement sur le bord d’une chaise, il poursuivit avec gravité et bienveillance :

— Mon ami, depuis plus de quatre ans que vous êtes chez moi, je n’ai eu qu’à me louer de vos services. Si je ne vous l’ai pas dit plus tôt, c’est que les affaires si délicates dont je suis chargé me commandent de soumettre à une longue épreuve ceux qui m’entourent. Mais j’ai acquis la certitude que je puis compter sur votre zèle, votre dévouement et votre discrétion.

Philidor écoutait ce petit discours la bouche béante et les yeux grands ouverts. Il n’en revenait pas.

Enchanté de l’effet qu’il produisait, Pergous continua :

— Voici d’abord une gratification que vous avez bien gagnée. De plus, à partir d’aujourd’hui, j’augmente vos appointements de trois cents francs par an et je vous nomme mon secrétaire particulier.

En disant ces mots, l’agent d’affaires tendait noblement à son employé un billet de cent francs, que celui-ci hésitait à accepter.

— Prenez, Philidor, prenez, lui dit son maître avec autant de dignité bienveillante que Louis XIV — si on en croit la légende — en mit pour dire à Molière : « Prenez place à ma table. »

C’en était trop pour l’humble clerc. Rouge comme une pivoine, il étendit sa longue main et saisit délicatement le précieux chiffon de ses doigts osseux, en bégayant avec des larmes dans les yeux :

— Oh ! monsieur, monsieur ! comment reconnaîtrai-je jamais ? Comment…

— En continuant à vous montrer digne de mon intérêt, interrompit Pergous, qui n’aimait guère les scènes d’attendrissement.

Et il reprit aussitôt, comme si la pensée lui en venait subitement :

— Ah ! j’ai une communication d’une certaine importance à vous faire : un de mes clients, qui est obligé d’entreprendre un long voyage, doit m’envoyer de nombreux dossiers qu’il ne veut pas laisser chez lui pendant son absence. Il me les a montrés hier ; ils sont volumineux, et comme ses adversaires sont capables de tout, comme j’ai moi-même beaucoup d’ennemis…

— Vous ! monsieur, ne put s’empêcher de crier Philidor avec stupeur ; vous, des ennemis !

— Eh ! oui, mon ami, répondit modestement le gredin. Les intérêts que j’ai à défendre me contraignent parfois, par respect pour le devoir professionnel, à des rigueurs que je déplore, mais dont on me rend responsable et qu’on ne me pardonne pas. Alors, je deviens l’objet d’attaques, de diffamations, d’odieuses calomnies. Cela, certes, m’importe peu ; ma conscience me soutient. Mais comme les plus honnêtes gens ne sont pas toujours maîtres des événements, j’aimerais tout autant que ces dossiers fussent à l’abri de toutes les éventualités, quoiqu’ils n’aient, de valeur que pour mon client. Si je vous en chargeais ?

— Moi ! monsieur, moi !