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— Chez des amis, mon enfant, lui répondit la personne qui la soignait ; chez des amis, où vous n’avez plus rien à craindre.

En ce moment même, Pétrus entra dans la chambre où la noyée reprenait ses forces.

Nos lecteurs ont déjà reconnu Armand de Serville. Depuis plusieurs années il avait loué à Nogent une maison de campagne où il s’installait dès les premiers beaux jours.

Le soir du drame que nous racontons, il pendait avec quelques camarades sa crémaillère annuelle, bien qu’il dût retourner pour quelque temps encore rue d’Assas.

Au moment où la fille de Dutan, poursuivie et sur le point d’être atteinte par l’ex-avoué, s’était jetée à l’eau en poussant un cri, le peintre, n’écoutant que son courage, s’était élancé à son secours. Nous savons avec quelle rapidité il l’avait arrachée à l’abîme.

— Eh bien ! mon enfant, dit-il à Marie en s’approchant d’elle, êtes-vous mieux ? Remettez-vous tout à fait, soyez sans crainte ; plus tard, vous nous direz pourquoi vous vouliez mourir.

Après un instant de silence, pendant lequel ses grands yeux étaient restés fixés sur l’artiste avec autant d’admiration que de reconnaissance, la jeune fille lui dit :

— C’est vous qui m’avez sauvée, monsieur, merci. Mais peut-être serait-il préférable que je fusse là-bas… au fond de l’eau.

En proie à une violente crise nerveuse, elle se mit à sangloter.

— Laissez-la pleurer, Nelly, fit Pétrus, les pleurs sont le meilleur des calmants ; si elle peut dormir cette nuit, demain elle n’aura plus que le souvenir de sa tentative de suicide. Nous aviserons alors, selon les causes de ce triste événement, à la rendre à sa famille ou à la prendre sous notre protection.

— Je n’ai pas de parents, murmura l’orpheline qui avait entendu.

— Pauvre enfant, reprit Nelly, maîtresse de l’un des amis de M. de Serville. Eh bien ! vous resterez avec nous. Voyez donc, Armand, comme elle est jolie !

Le peintre l’avait déjà remarqué, et le long regard qu’attachait sur lui la victime de Pergous ne laissait pas que de le troubler un peu.

Au même instant, la porte de la pièce où avait lieu cette scène s’ouvrit brusquement pour livrer passage à un homme aux traits bouleversés.

C’était Philidor.

Après être resté blotti près d’une demi-heure près de la grille du jardin, qui n’était que poussée, il n’avait pu y tenir davantage et s’était élancé vers la maison.

En le voyant apparaître comme un fou au rez-de-chaussée, les amis de Pétrus, supposant qu’il était le frère ou l’amant de l’inconnue, lui avaient fait signe qu’elle était au premier étage.