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Là, il dîna modestement dans un cabaret du quartier ; puis il prit le train de huit heures et arriva à Nogent lorsque la nuit était déjà tout à fait tombée.

Véritablement épouvanté de sa hardiesse et ne sachant trop ce qu’il voulait faire, le pauvre diable gagna l’île de Beauté, en se dissimulant le long des maisons et dans l’ombre des grands arbres, et lorsqu’il fut sur le bord de l’eau, il ne s’avança plus alors que pas à pas, interrogeant avec soin l’obscurité autour de lui.

Que dirait-il à son terrible maître si tout à coup il le rencontrait ?

Quelques-unes des villas étaient déjà occupées. L’une d’elles surtout, située à cinq ou six portes en avant de celles de l’agent d’affaires, en descendant la rivière, renfermait nombreuse compagnie. Philidor y avait aperçu une demi-douzaine de jeunes gens et de femmes qui terminaient gaiement la soirée dans un kiosque dominant la Marne.

Il parvint cependant jusqu’à la grille de Pergous sans avoir croisé personne.

La porte était entr’ouverte et, comme le feuillage du taillis qui masquait la maison n’était encore que très peu fourni, il distingua à peu près ce qui se passait au rez-de-chaussée.

Le galant Marius s’y trouvait avec Marie, ils étaient à table tous deux. Victoire allait et venait pour son service.

Au bout d’un instant, il vit, par la fenêtre de la cuisine, la domestique rentrer dans cette pièce ; puis la lumière disparut, et son apparition au second étage lui indiqua que Victoire était remontée dans sa chambre.

Au même moment, il aperçut Pergous et la jeune fille sur le perron.

Que pouvaient-ils se dire, ou plutôt que pouvait dire ce cynique personnage à cette enfant chaste et pure qui se trouvait seule avec lui dans un lieu isolé ?

Philidor endurait mille tortures ; instinctivement, il avait poussé la porte et, se courbant jusqu’à terre, s’était glissé dans le jardin.

Dans quel but ? Il l’ignorait, puisque jusqu’alors rien dans l’attitude de l’agent d’affaires n’avait été de nature à provoquer son intervention.

Mais, de là où il s’était blotti, le pauvre amoureux ne voyait plus rien, et il n’osait ni avancer davantage ni regagner le bord de la rivière.

Tout à coup, il entendit un cri, cri d’épouvante et de désespoir, qui glaça son sang dans ses veines et le paralysa, et il vit passer devant lui une ombre qui, suivie d’une autre, s’élança du côté de la grille et disparut.

Reprenant alors un peu d’énergie, il se jeta à la poursuite de celle qui ne pouvait être que Marie, mais, bien qu’il n’eût perdu que deux minutes peut-être, il n’arriva sur la rive de la Marne que pour entendre un second cri, plus terrible encore que le premier, et aussitôt après le bruit d’un corps ouvrant bruyamment les flots.

— Au secours ! au secours ! appela-t-il, en se précipitant vers l’endroit d’où ce bruit lugubre lui était parvenu.

Mais le cri de Marie, — car c’était bien la pauvre enfant qui, pour échapper à