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livraient en lui la colère et la modération qu’il s’était juré d’avoir, et il tomba correctement en garde, parant froidement tous les coups, ne ripostant pas.

M. de Platen était blême. Comprenant que M. de Ferney le ménageait, il en était profondément humilié et perdait la tête.

Laissant de côté les règles les plus élémentaires de l’escrime, il ferraillait à tort et à travers, mais son arme rencontrait toujours celle de son adversaire, qui était un tireur de première force.

MM. Gilbert et de Cerny restaient impassibles. L’issue de l’affaire ne faisait pas pour eux l’ombre d’un doute : M. de Platen se fatiguerait et les choses se termineraient pacifiquement.

MM. du Charmil et de Fressantel semblaient, au contraire, anxieux. On eût dit que la conduite de M. de Ferney était tout autre que celle qu’ils attendaient de lui.

Le combat dura ainsi quatre à cinq interminables minutes, au bout desquelles M. de Platen, épuisé, des larmes de rage dans les yeux, baissa le fer.

— Une seconde fois, monsieur, lui dit aussitôt Raoul, je vous fais des excuses. Vous venez de prouver que vous êtes plus brave qu’aucun homme au monde ; arrêtons-nous là.

— Bien, mon enfant, très bien ! s’écria M. Dormeuil, qui s’était avancé.

Et, s’adressant aux témoins du jeune Russe, il ajouta :

— Voyons, messieurs, usez donc de votre influence sur votre ami.

Mais M. de Platen était déjà retombé en garde, en répondant :

— Jamais ! vous êtes un lâche, puisque, spadassin comme vous êtes, vous m’avez souffleté, comptant sur ma faiblesse pour ne pas être châtié. Vous me tuerez ou je vous tuerai !

Et bondissant comme un fou sur M. de Ferney, que son outrage avait fait devenir livide, il chercha à le frapper au visage.

Ce qui se passa alors dura dix secondes à peine. Raoul releva d’une parade de quarte l’arme de son adversaire, se fendit ; on entendit un cri étouffé, et M. de Platen, après avoir chancelé un instant, tomba dans les bras de M. de Fressantel, qui s’était élancé vers lui.

L’épée du fiancé de Mlle de Bertout s’était enfoncée de quatre pouces au moins dans l’épaule du malheureux enfant.

M. de Ferney, qui avait fait instinctivement un pas en arrière, était atterré.

Ses yeux hagards ne voyaient ni M. Dormeuil ni M. de Serville, qui se tenaient près de lui ; ils restaient fixés sur le groupe lugubre que formaient le blessé, ses amis et le chirurgien qui examinait la plaie.

— Viens, Raoul, lui disait l’avocat, tu as été généreux aussi longtemps que possible.

— Non, répétait l’officier, non, pas avant de savoir !