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— Alors permettez-moi de vous demander une grâce.

— Volontiers. Laquelle ?

— Soyez en retard d’une demi-heure, afin que nous ayons le temps de causer seuls avec MM. du Charmil et de Fressantel.

— Je le veux bien ; je n’arriverai au café Riche qu’à sept heures et demie ; mais vous allez faire, messieurs, une démarche inutile. J’ignore ce qu’il en serait advenu si, spontanément, M. de Ferney s’était excusé ; maintenant que tout est réglé, je vous avoue que, si j’étais à la place de mes amis, je n’admettrais aucun arrangement.

M. de Platen avait prononcé ces paroles avec un accent triste et ferme tout, à la fois.

Il était aisé de comprendre qu’il ne se disposait pas à aller sur le terrain comme un fou, mais en homme d’honneur dont c’était le devoir. On pouvait donc être certain qu’il défendrait vaillamment sa vie.

MM. Dormeuil et de Serville le quittèrent pour se rendre à l’hôtel Bertout, où Raoul les attendait.

L’avocat le mit rapidement au courant de l’entrevue qu’il venait d’avoir avec son adversaire.

— Que concluez-vous de cet entretien ? demanda le jeune officier, qui sentait tous ses torts et en rougissait.

— Nous venons, M. de Serville et moi, te dire quelle serait notre conduite si nous étions à ta place.

— Je suis prêt à agir selon vos inspirations.

— Il faut faire des excuses à M. de Platen.

— Des excuses ! Jamais !

— Je m’attendais à cette réponse ; elle est celle d’un homme courageux, mais non celle d’un homme de bon sens et qui a le sentiment de l’honneur vrai. Personne au monde ne saurait douter de ta bravoure ; tu as été décoré sur le champ de bataille et tes amis savent ce que tu vaux. Si quelqu’un doutait de toi, à celui-là tu donnerais une leçon et c’est moi qui te servirais de témoin. Tu grandiras, au contraire, dans l’estime des honnêtes gens, en demandant pardon à M. de Platen, que tu as grossièrement outragé, sans motif. Est-ce que ta conscience le laisserait tranquille si tu tuais ou seulement blessais cet enfant ! Car c’est un enfant, cet étranger que Jeanne Reboul t’offre en holocauste à sa vengeance.

Raoul avait baissé la tête et ne répondait pas, mais le trouble de sa physionomie disait assez le combat que se livraient en son esprit l’orgueil et l’honneur.

— Voyons, un bon mouvement, reprit M. Dormeuil.

— Oui, vous avez peut-être raison, laissez-moi consulter M. de Serville.