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— Pourquoi ? Qu’avez-vous donc ?

— Rien ! rien !

M. Dormeuil avait laissé tomber sa tête entre ses mains et paraissait poursuivre une idée.

Tout à coup, il se redressa, en disant :

— Oh ! ce serait horrible. Tu as cette lettre ?

— Oui ; la voici.

Raoul avait pris le billet anonyme dans son carnet et le présentait à son vieil ami.

Celui-ci s’en saisit, le lut et relut lentement, puis ses lèvres esquissèrent un sourire amer et il reprit :

— Où demeure M. de Platen ?

— Je l’ignore ; mais on a son adresse à son club, au cercle Impérial.

— Bien ! Tu vas retourner chez toi et tu m’y attendras toute la soirée.

— Que voulez-vous faire ?

— Je suppose que tu as confiance en moi. Sois certain que je ne compromettrai pas ton honneur ; il m’est aussi précieux que le mien.

— Je vous attendrai.

Et, après avoir serré avec effusion la main que M. Dormeuil lui tendait, M. de Ferney s’éloigna plus ému encore qu’il ne l’avait été depuis vingt-quatre heures.

S’il s’était retourné, il aurait vu le vieillard sortir pour se diriger vers le Luxembourg.

Un quart d’heure après, l’excellent homme sonnait à la porte d’un petit hôtel où nous avons jadis introduit nos lecteurs : celui du peintre Pétrus, c’est-à-dire M. Armand de Serville.

Au moment où M. Dormeuil entrait dans son atelier, l’artiste était à son chevalet, esquissant le portrait d’une ravissante jeune fille qui posait devant lui.

Bien que plus de dix années se fussent écoulées depuis le jour où nous avons vu M. de Serville à l’hôtel de Rifay, il était à peine changé.

Un peu plus grave que jadis, sa physionomie était toujours ouverte et sympathique, son cœur enthousiaste et bon. C’était tout à la fois un grand artiste et un galant homme.

Mais le travail et les succès ne lui avaient pas fait oublier le passé. S’il veillait avec une sollicitude de frère aîné sur Raoul et sur Louise, c’était pour continuer à réparer, autant qu’il le pouvait, le malheur dont il avait involontairement frappé les deux orphelins.

De Jeanne, il n’avait conservé mémoire que pour la haïr et la mépriser.