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Il n’avait, du reste, qu’une idée fixe : rencontrer M. de Platen et exiger de lui réparation pour les paroles que lui attribuait l’épître anonyme.

Raoul savait que, comme un grand nombre de ses amis, le jeune Russe était un habitué des Bouffes.

Justement, ce soir-là, il y avait une première à ce théâtre.

À huit heures, après une journée durant laquelle il avait dû faire les plus violents efforts pour paraître calme, il quitta son uniforme et se dirigea vers la salle du passage Choiseul.

Au moment où il entrait à l’orchestre, on levait le rideau pour le premier acte de la pièce nouvelle et, par un hasard fatal, M. de Platen, escorté de ses inséparables, MM. du Charmil et de Fressantel, était placé du même côté, à quelques fauteuils en arrière du sien.

Cependant, quelque tentative qu’il fît, ses yeux ne purent rencontrer ceux du comte qui ne s’occupait que de ce qui se passait sur la scène et n’avait même pas vu arriver M. de Ferney.

La colère de ce dernier s’accrut de ce que son égarement voulait prendre pour une injure nouvelle, et l’acte était à peine, terminé, qu’il bondit à la porte du couloir, afin de se trouver sur le passage de M. de Platen.

Celui-ci se présenta bientôt pour sortir. Seulement alors, il vit et reconnut le fiancé de Mlle de Bertout.

La physionomie de l’officier exprimait assez ce qui se passait dans son esprit.

Romuald le comprit, pâlit un peu, mais ne s’avança pas moins en continuant de rire, à propos de la pièce, avec ses amis qui le suivaient.

Au moment où il allait franchir le seuil de l’orchestre, Raoul l’arrêta par le bras en lui disant à haute voix :

— Il me semble, monsieur, que vous pourriez me saluer.

— Je ne sais, monsieur, qui saurait m’y contraindre ! fit avec calme et un sourire ironique le gentilhomme étranger, dont l’orgueil de race plutôt que la jalousie répondait.

Puis il se dégagea doucement.

— Qui saurait vous y contraindre ? Moi, insolent !

Et, joignant le geste aux paroles, M. de Ferney frappa brutalement M. de Platen au visage.

L’outragé jeta un cri de rage et voulut s’élancer sur son agresseur, mais dix personnes s’interposèrent aussitôt et Raoul s’éloigna, après avoir jeté sa carte à M. du Charmil, en lui criant :

— Voici mon adresse et mon nom, pour le cas où votre ami voudrait ne pas s’en souvenir.

Pâle, tremblant, mais le visage empreint d’une énergique résolution, le comte sortit quelques instants plus tard, en laissant stupéfaits les spectateurs de cette scène scandaleuse, dont chacun ignorait les véritables causes.