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loppe, où, de la même écriture renversée, elle traça : M. Raoul de Ferney, officier d’ordonnance du général de Bertout, 82, rue Bellechasse.

Jeanne Reboul savait que le général était de retour de sa mission en Bretagne et elle n’ignorait rien de ce qui se passait dans son hôtel, grâce à Pergous qui le surveillait sans relâche.

Tout ce que l’homme d’affaires avait rapporté à ce sujet était de la plus scrupuleuse exactitude.

Raoul était réellement amoureux de la nièce de son chef et sa main lui était promise. Aussi les deux jeunes gens, qui habitaient sous le même toit, car la sœur de M. de Bertout était veuve et demeurait chez lui, se voyaient-ils tous les jours.

C’est au moment où, vers neuf heures du matin, l’officier d’ordonnance sortait de chez le général dont il avait pris les ordres pour la journée, qu’un domestique lui remit la lettre de Mme de Ferney.

Sans même remarquer l’écriture bizarre de la suscription, Raoul ouvrit cette lettre, et l’émotion que lui causa sa lecture fut si terrible qu’il dut étouffer un cri de colère pour ne pas se trahir.

Au milieu de ses travaux et de ses rêves de bonheur, le passé avait tout à fait disparu de son esprit ; il se souvenait à peine de l’hôtel de Rifay, et, n’ayant plus entendu parler de sa belle-mère, il ne s’imaginait pas qu’il pût être jamais question d’elle devant lui.

Et voilà qu’une lettre où se trouvait le nom de cette femme le menaçait d’une révélation, qui, si calomnieuse qu’elle fût, n’était pas moins de nature à produire sur M. de Bertout et sur sa nièce le plus épouvantable effet !

Il lui faudrait donc se défendre, c’est-à-dire raconter cet horrible drame de famille dont il avait été la victime, accuser son père, faire connaître ses faiblesses, fouiller ce passé de honte et de douleur.

C’était là une situation atroce dont il devait sortir à tout prix.

Le caractère irascible, orgueilleux et violent de Raoul de Ferney ne lui permit pas de chercher tout d’abord comment il se faisait que le comte de Platen fût au courant de ce scandale ; il ne vit dans le nom du jeune Russe, dont il avait remarqué les assiduités à l’hôtel de Bertout, que le nom d’un rival qui, d’un mot, pouvait le compromettre et peut-être lui enlever sa fiancée.

C’était là plus qu’il n’en fallait pour l’exaspérer et le pousser aux moyens extrêmes.

— Ah ! M. de Platen se fait fort de rompre mon mariage et il s’en vante, se dit-il, en remontant dans son appartement ; eh bien ! il ne s’en vantera pas une seconde fois, le fat !

Et, seulement alors il se demanda par qui l’étranger pouvait avoir été renseigné, mais il ne pensa pas un seul instant à Mme de Ferney, qu’il croyait d’ailleurs fort loin.