Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/351

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Tout simplement parce que je suis celle qu’il a frappée ; je n’ai aucune raison pour vous le cacher.

— Vous êtes…

— Du nom de mon premier mari : Mme de Ferney. Le comte Iwacheff le savait lorsqu’il m’a épousée. C’est grâce à la haine du fils de M. de Ferney que j’ai perdu son père et la situation sociale que j’occupais dans le monde.

— Je comprends mieux alors voire confidence. Vous voulez vous venger ?

— Je n’en aurais pas cherché l’occasion, mais elle se présente à moi sous la forme d’un service à rendre au fils de l’un de mes amis et je la saisis avec empressement. Ne vous occupez de rien. Laissez-moi agir seule. Dans huit jours, M. de Ferney aura permuté avec un de ses camarades pour quitter Paris, la France même. Maintenant, mon cher Romuald, j’attends quelqu’un, sauvez-vous.

Le comte de Platen, tout abasourdi, prit son chapeau, serra la main de Jeanne et sortit, mais, à peine dans la rue, il regretta d’avoir accepté le concours de Mme de Ferney.

La lutte, telle qu’elle allait s’engager, lui semblait indigne de lui ; il se disait qu’il préférerait cent fois avoir affaire à son rival plutôt que de l’atteindre par la main d’une femme.

Ces réflexions eurent pour résultat de l’irriter singulièrement contre Raoul de Ferney, à l’égard de qui il n’avait ressenti jusque-là aucun mauvais sentiment, et il se surprit à désirer de le rencontrer pour lui chercher querelle afin de le combattre loyalement, l’épée à la main.

Mais le jeune protégé de la comtesse Iwacheff était sans expérience et d’un tempérament plutôt doux qu’emporté.

De plus, il n’avait de l’honneur vrai qu’un sentiment inconscient. Le grand air le calma rapidement. Lorsqu’il entra à son club, où il allait rejoindre ses amis, ce fut en se disant :

— Attendons, parbleu ! j’agirai selon les événements.

Pendant ce temps-là, Jeanne écrivait la lettre suivante, en contrefaisant son écriture :


« Un ami vous prévient charitablement que votre rival auprès de Mlle de Bertout, le jeune comte de Platen, sait que vous vous êtes rendu coupable jadis d’une tentative d’assassinat sur la femme qui devait devenir votre belle-mère, et, comme il compte demander en mariage Mlle Marthe, il est décidé, si on la lui refuse parce qu’elle vous est promise, à tout faire savoir au général de Bertout. M. de Platen ne s’est pas gêné pour dire à son cercle, devant plusieurs personnes, qu’il se faisait fort d’empêcher voire mariage. »


Après avoir tracé ces lignes odieuses, la misérable les glissa sous une enve-