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— Voyons, fit Mme de Ferney en faisant un geste pour prendre le pli que son visiteur tenait à la main.

— Ah ! pardon, nous avons ensemble un traité : donnant donnant.

— Alors gardez vos notes, car, autant je suis prête à vous remettre les cinq mille francs que je vous ai promis, autant vous me trouverez toujours disposée à ne vous payer qu’à bon escient. Votre peu de confiance en ma parole ne m’engage guère à ne pas me défier de vous. Il faut au moins que je sache ce qu’il y a là dedans. Je vous l’ai dit : ne jouez pas au plus fin avec moi.

Comprenant qu’il devait céder, et accompagnant son mouvement d’un sourire qui ressemblait fort à une grimace, Pergous remit son rapport à la jeune femme.

Celle-ci s’empressa d’en commencer la lecture.

Entièrement de la main de l’ex-avoué, qui n’avait pas même voulu le faire copier par son fidèle Philidor, ce document était ainsi conçu :


« Après la mort de son père, Raoul de Ferney a été mis au collège Sainte-Barbe par M. Dormeuil, l’exécuteur testamentaire de M. de Ferney, et il est resté dans cet établissement jusqu’en 1862, époque à laquelle il est entré à l’École polytechnique. Ce jeune homme est sorti de l’École dans l’état-major et il a été envoyé, sur sa demande, en Afrique, où, dans une affaire contre les Kabyles, il s’est conduit avec une telle intrépidité qu’il a été décoré sur le champ de bataille.

« Il est aujourd’hui officier d’ordonnance du général de Bertout, dans l’hôtel de qui il habite, 82, rue de Bellechasse. Le général de Bertout, qui appartient à l’arme de l’artillerie, est en ce moment en tournée d’inspection en Bretagne. Son officier d’ordonnance l’accompagne. Ces messieurs ne seront pas de retour avant deux mois au plus tôt.

« Le lieutenant Raoul de Ferney est un officier distingué. On ne lui reproche qu’un caractère irascible et sombre. On parle de son mariage avec Mlle Marthe de Bertout, la nièce du général. Il paraît très épris de cette jeune fille, qui est jolie et fort coquette.

« Mlle Louise de Ferney, après la mort de son père, était allée demeurer à Douai chez sa grand-tante, Mme de Lignières, mais celle-ci mourut trois ans plus tard et la jeune fille fui confiée par le conseil de famille à une de ses parentes de Bretagne, Mme de Kervan. Il y a deux ans, au grand étonnement de toute la société de Vannes, Mlle de Ferney a épousé le colonel de Gournay, qui avait dépassé la cinquantaine. M. de Gournay est aujourd’hui général de brigade et commande à Saint-Cloud. Il habite au château ainsi que sa jeune femme, dont il est extrêmement jaloux, quoique sa conduite soit irréprochable.

« M. Dormeuil est toujours avocat à la Cour de cassation et jouit d’une grande réputation de talent et d’honorabilité. Il demeure, ainsi que jadis, 44, rue Jacob. »


— Fort bien, dit Mme de Ferney, dont les lèvres avaient esquissé un sourire mau-