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Jeanne, bien que jeune encore et d’habitudes élégantes, n’était rien moins qu’une petite-maîtresse. Matinale, active, elle se levait pour ainsi dire la première de sa maison, dont l’installation avait été rapidement terminée.

Gabrielle était venue rejoindre sa mère, qui l’aimait de plus en plus.

Mme de Ferney apportait dans cette affection la violence de son tempérament et l’exaltation de son esprit. Elle aimait sa fille avec une sorte de passion sauvage et jalouse qui ne lui permettait plus de la confier à qui que ce fût.

Cette femme, que nous avons vue bronzée dans les circonstances les plus terribles, avait d’inexprimables terreurs à la moindre plainte de Gabrielle ; son cœur était pour elle plein de tendresses infinies. Un mot de son enfant était un ordre pour celle qui avait été sans pitié pour les enfants des autres. Une larme des grands yeux bleus de sa fillette la faisait tressaillir.

Abîme insondable de l’âme humaine ! De même que Dieu laisse pousser sur le fumier les plus belles et les plus odorantes des fleurs, de même, dans le cœur vicieux et flétri de la fille du guillotiné Méral, était né et s’était développé le plus pur et le plus complet des amours.

Gabrielle rendait d’ailleurs à sa mère toute son affection avec l’élan et la spontanéité de son adorable nature, et, pour ceux qui n’en connaissaient pas les ombres sinistres, c’était le plus touchant des tableaux que celui qu’offrait cette femme, si belle encore, lorsqu’elle pressait sur sa poitrine, où grondaient de terribles orages, cette ravissante enfant qui souriait à la vie.

Mais là s’arrêtaient pour Mme de Ferney ses sentiments envers sa fille, car, par un incroyable oubli de sens moral, elle la mêlait à ses combinaisons infâmes, en l’associant à sa vengeance.

Pour se donner une excuse ou pour s’exciter au mal, elle se disait que c’était au profit de Gabrielle qu’elle voulait à tout prix perdre ceux qui, selon la loi, étaient ses frère et sœur, afin qu’elle héritât seule de la fortune de M. de Ferney.

Telle était la disposition de Jeanne, lorsque Sonia vint lui dire que M. Pergous la priait de lui faire savoir à quelle heure il pourrait se présenter.

Mme de Ferney donna l’ordre d’introduire immédiatement l’ex-avoué, et, lorsque, quelques minutes après, il parut sur le seuil du boudoir où elle l’attendait, elle ne se décida qu’avec peine à détacher de son cou les bras de sa fille, pour passer de ses chastes caresses à l’entretien criminel qu’elle allait avoir.

Marius était souriant ; il apportait évidemment de bonnes nouvelles.

Resté seul avec Jeanne, car Sonia avait emmené Gabrielle, il dit aussitôt :

— Madame, je n’ai pas voulu vous fatiguer depuis un mois du récit de mes efforts pour atteindre votre but ; je désirais ne vous voir que pour vous apprendre mon succès. J’ai complètement réussi. Voici une note qui vous donne, aussi complets que vous pouvez les désirer, les renseignements demandés ; et ces renseignements, je vous l’affirme, sont puisés à bonne source. Rien d’ailleurs ne vous sera plus facile que de les contrôler.