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— Vous ne m’en voulez plus, n’est-ce pas, de vous avoir fait pleurer ?

— Oh ! non, monsieur Pergous, répondit la chaste enfant sans se défendre.

— Je vous aime beaucoup, au contraire. Et vous, m’aimez-vous un peu ?

— Je serais bien ingrate si je n’avais pas d’affection pour vous.

Mais comme son infâme protecteur la pressait contre sa poitrine, elle eut peur et se dégagea doucement.

Ses regards brûlants l’effrayaient ; son contact lui causait une répulsion instinctive.

Pergous, qui ne vit dans le mouvement de la jeune fille qu’une révolte toute naturelle de pudeur, comprit qu’il ne devait pas en tenter davantage ce soir-là, afin de ne pas effaroucher celle dont il voulait faire sa proie, et, sans même se rapprocher d’elle, il la salua amicalement de la main, en lui souhaitant une bonne nuit.

L’inflammable Marius ne doutait pas de sa prochaine victoire.

Quant à Marie, elle s’était enfuie dans sa chambre, où, pour la première fois depuis qu’elle avait franchi le seuil de la maison de la rue du Four, elle s’enferma à clef.

Malgré son ignorance du mal, la fille de Dutan pressentait inconsciemment un danger.

Mais, pendant la nuit, rien ne confirma ses craintes ni ne troubla son sommeil, et le lendemain, au moment du déjeuner, Pergous l’embrassa si paternellement qu’elle se reprocha la terreur qu’il lui avait inspirée la veille.

C’est que notre triste héros n’était plus à l’amour, mais tout aux affaires ; il avait écrit à Jeanne Reboul pour lui demander quand elle pourrait le recevoir, et celle-ci lui avait répondu qu’elle l’attendrait à deux heures, 85, rue de Monceau.

Mme de Ferney s’était installée là, dans un petit hôtel, dont elle n’avait fait meubler que les pièces indispensables, car, tout en ne voulant pas habiter plus longtemps l’hôtel du Louvre ou tout autre du même genre, elle désirait aussi attendre, pour organiser complètement sa maison, que sa position sociale fût bien définie.

Délivrée de toute crainte à l’égard de poursuites criminelles, elle était décidée à ne plus quitter Paris ; mais elle croyait cependant ne pas devoir rompre brusquement avec lord Rundely, qui pouvait encore lui être utile.

Aussi lui avait-elle écrit que les affaires de famille qui l’avaient appelée en France menaçaient de durer plusieurs mois et qu’elle était forcée de surveiller de près la marche d’un procès qu’elle intentait aux héritiers de son mari.

Il s’agissait, avait-elle ajouté, de l’avenir et de la fortune de sa fille. Or elle devait tout sacrifier, même son bonheur, à ses devoirs maternels.

Lord Rundely, qui était un fort galant homme, s’était hâté de lui répondre que, tout désespéré qu’il fût d’une séparation qui menaçait de se prolonger, il ne pouvait qu’approuver les sentiments qui retenaient loin de lui celle qu’il aimait toujours avec passion et qu’il viendrait d’ailleurs la voir à Paris aussitôt qu’il le pourrait.