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— Tiens, vous n’avez pas faim, dit Méral, lorsqu’en entrant dans la chambre de sa victime, vers six heures du soir, il aperçut le morceau de pain à peine entamé.

L’ex-avoué, qui arpentait à grands pas sa prison, avait bien envie, au lieu de répondre à son bourreau, de lui sauter à la gorge ; mais il avait remarqué, dès le premier jour, les larges épaules de cet être difforme, dont la vigueur devait être peu commune.

Il s’efforça donc de répondre avec calme :

— Si vous voulez que je mange et que je boive, il faut me donner du pain moins dur et de l’eau plus propre.

— Ah ! dame, fit Pierre, le boulanger ne passe pas tous les jours. Quant à l’eau, c’est la seule qu’il y ait ici. J’avoue qu’elle n’est pas fameuse ; aussi, moi, je n’en mets jamais dans mon vin. Pourquoi n’êtes-vous pas raisonnable ?

— Je n’écrirai pas ; je vous l’ai déjà dit.

— À votre aise et bonsoir. Demain vous serez peut-être plus sage.

Et le misérable se retira, non pas en haussant les épaules, ce mouvement lui était interdit, mais en dodelinant sa tête hérissée.

Pergous passa une nuit terrible ; pour la première fois de sa vie, il sentit le supplice de la faim, car il essaya vainement de toucher au pain qui était resté sur sa table, et, pendant son insomnie, partagé entre le besoin et son avarice, il conçut mille projets de révolte.

Celui dont l’exécution lui paraissait assez facile était tout simplement de surprendre son gardien et de lui sauter à la gorge, avant qu’il ait eu le temps de se mettre sur la défensive.

L’ex-avoué, qui était robuste, pensait que de cette façon il aurait aisément raison du bossu ; il resterait, il est vrai, son compagnon, mais d’abord il pourrait se faire que celui-ci ne fût pas dans la maison, et ensuite un homme peut toujours lutter contre un seul adversaire.

Ainsi décidé à tout risquer pour reprendre sa liberté et ne pas donner son argent, l’intéressant Marius se leva au petit jour et vint se blottir contre la porte.

Il était là, depuis plus d’une heure, lorsqu’il entendit enfin l’escalier résonner sous des pas qu’il connaissait bien.

En effet, quelques secondes plus tard, une clef était introduite dans la serrure ; mais, au moment où le prisonnier se préparait à s’élancer sur l’arrivant, le guichet s’ouvrit et Pierre, car c’était lui, cria de sa voix suraiguë, après avoir parcouru la chambre du regard :

— Comment, cher monsieur Pergous, déjà levé ! Où êtes-vous donc ? Vous ne répondez pas ?

L’agent d’affaires s’en gardait bien. Collé contre la muraille, il se faisait le plus mince possible, dans l’espoir que, ne le voyant pas, son geôlier se déciderait à entrer.