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— Non, se dit-il bientôt, je ne suis pas aux prises avec un débiteur qui veut se venger en me faisant chauler ! Eh ! mais, est-ce que tout ce qui m’arrive ne serait pas tout simplement la suite de l’hôtel de Rifay ? Sapristi ! ce serait plus grave, surtout si ces gens-là savent que je suis en possession de la preuve de leur crime et fort près d’en connaître les auteurs. De plus, ils doivent être convaincus que je n’ignore pas l’assassinat de Jérôme Dutan par l’un d’eux. Pourquoi alors ne m’ont-ils pas tout bêtement jeté à l’eau ? Ils se seraient de cette façon-là assurés de mon silence ? Il doit y avoir encore autre chose, et, comme il est probable que je me casserais en vain la tête pour le deviner, couchons-nous. Sot que je suis, de m’être ainsi laissé pincer par cette fille ! Bien certainement elle est d’accord avec ces gredins ! Si ces canailles-là ne sortent pas du bagne, je me trompe fort !

Tout en faisant ces réflexions, l’homme d’affaires s’était philosophiquement étendu sur le lit, mais tout habillé, car, si rassuré qu’il fût à l’égard d’une agression nocturne, il voulait néanmoins ne pas être surpris.

Il passa ainsi de longues heures sans trouver le sommeil ; puis la fatigue finit par l’endormir si profondément que, le lendemain matin, il ne se réveilla qu’en entendant ouvrir la porte de sa chambre.

C’était le bossu qui venait lui rendre visite.

— Tiens, vous vous êtes couché en paletot, lui dit-il, en s’approchant de son lit ; ça ne vaut rien pour la santé. Mais c’est votre affaire. Avez-vous faim ?

— Quelle heure est-il ? demanda le prisonnier.

— Neuf heures. Vous avez fait la grasse matinée, répondit Pierre en consultant la montre qu’il avait retirée de son gousset et que Pergous reconnut pour être la sienne. Si vous voulez faire un bout de toilette et commander votre déjeuner ?

— Est-ce que vous n’allez pas me donner un peu d’air et de lumière ?

— Je n’ai rien à vous refuser que la liberté.

Le hideux personnage, en s’exprimant ainsi avec son accent moqueur, ouvrit la fenêtre et les volets.

Il faisait un temps superbe, et Marius aspira avec une véritable jouissance l’air vif du dehors ; mais inondé des rayons du soleil, son logement lui parut encore plus sordide.

Les murs suintaient l’humidité, le plafond était crevassé et le parquet rugueux, grâce aux détritus de toutes sortes qui s’y étaient incrustés. Les ustensiles de toilette se composaient d’une cuvette et d’un pot à eau ébréchés, sur lesquels on avait orgueilleusement étendu une serviette ou plutôt un torchon de grosse toile.

Si peu délicat qu’il fût, Pergous eut un haut-le-cœur et se hâta de tourner les yeux du côté de la fenêtre, d’où il aperçut la rivière, à travers les arbres.

Cette vue suffit pour le convaincre qu’il était à quelques centaines de mètres de Joinville-le-Pont, dans une des îles de la Marne.

Mais cela avait d’ailleurs peu d’importance, car il était évident que les gens qui