Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/308

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ne tentez ni d’appeler ni de vous défendre, ce serait inutile. Si vous êtes sage il ne vous sera fait aucun mal.

C’était là une recommandation superflue, car, à la vigueur de ceux qui le maintenaient, l’ex-avoué, qui était un homme pratique, s’était immédiatement dit que toute résistance ne pourrait qu’aggraver sa situation.

Il ne fit donc pas un mouvement de révolte, même lorsque ses agresseurs lui lièrent les bras en gens qui ont l’habitude de ce genre d’opération, et, quand l’un d’eux lui dit : « Maintenant, en route », il se laissa docilement conduire, mettant toute son intelligence à deviner le chemin qu’on lui faisait suivre, puisqu’il ne pouvait voir, grâce au bandeau dont ses yeux étaient couverts.

Bientôt il reconnut qu’on l’entraînait à gauche de sa propriété et qu’on lui faisait remonter la rive, parce qu’il entendait à sa droite le remous de la rivière ; puis, une centaine de pas plus loin, il descendit un escalier qui lui était familier, car il s’y était souvent assis pour pêcher, et, lorsqu’il fut à demi couché dans l’embarcation où ses ravisseurs l’avaient aidé à s’embarquer et que cette embarcation eut poussé au large, il comprit, au peu de résistance de l’eau, qu’il suivait le courant de la Marne.

— Fort bien ! pensa-t-il, nous allons du côté de Joinville-le-Pont : si les gens qui m’enlèvent voulaient se débarrasser de moi, ce serait déjà fait. Quelles sont alors leurs intentions ?

Et, tout en prêtant l’oreille aux moindres bruits de nature à le renseigner sur le chemin qu’on lui faisait parcourir, il interrogea sa conscience, pour chercher qui pouvait avoir contre lui quelques motifs de vengeance.

Pendant ce temps-là, Clarisse remontait, en compagnie de Justin, vers la gare de Nogent.

En voyant ses complices se jeter sur Pergous, elle avait eu un moment de terreur, car, malgré les promesses de Manouret, elle craignait que la scène ne tournât au tragique ; mais l’ancien amant de Jeanne s’était approché et l’avait rassurée.

— Ce que vous avez de mieux à faire, lui dit-il, lorsque Pergous eut disparu avec Claude et le bossu, c’est de retourner à Paris. Fermons d’abord la maison de votre amoureux, car, si on en trouvait la porte ouverte, cela donnerait lieu à des suppositions et à des recherches que nous voulons éviter.

— Je crois bien, s’empressa de répondre la blanchisseuse, sans compter que je ne veux pas y laisser se gâter toutes les victuailles que le bonhomme a apportées pour souper. Je trouverai bien un ami pour festoyer en son honneur.

Et, guidant Justin, elle rentra avec lui dans le jardin, dont elle poussa la grille, puis dans le pavillon, où elle s’empara de la bourriche. Cela fait, ils sortirent du côté opposé, en fermant soigneusement derrière eux toutes les portes.

— Je vous laisse seule maintenant, dit Justin à la jeune fille, en arrivant sur la grande place qui s’étend devant la gare. Voici les cent francs promis, pas un mot à qui que ce soit de ce que vous venez de voir et bonne chance !