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— Tout ça, c’est charmant ! Mais, qu’est-ce que vous lui voulez, à mon soupirant ? Vous n’allez pas, au moins, me fourrer dans une mauvaise affaire ? Tu sais, je n’aime pas la rousse.

— Fichtre, ni moi non plus ! grogna vivement Pierre Méral.

— Je te donne ma parole d’honneur que nous ne lui ferons aucun mal, répondit l’ex-cabaretier.

— Hum ! ta parole d’honneur ; je préférerais autre chose, dit Clarisse en faisant la moue.

— Moi aussi, je vous le jure, mademoiselle, affirma Justin, qui ne se mêlait à la conversation que pour approuver les combinaisons de son ami.

— Vous, je vous crois, fit la jeune fille, dont l’imagination de grisette parisienne prenait peut-être pour quelque prince déguisé cet homme taciturne, mieux mis que ses compagnons, et qu’elle n’osait tutoyer, ainsi que les autres.

— C’est bien heureux, dit Claude. Tiens, voilà les cent francs ; mais attention ! sois ici demain à neuf heures du soir ; il faut que nous soyons prévenus à temps. Je te donnerai alors mes dernières instructions.

— On s’y conformera, promit Clarisse, en relevant sa robe pour glisser dans son bas les cinq pièces d’or que lui avait remises celui qui paraissait le chef de ce vilain trio.

— Sapristi ! quel joli porte-monnaie, gémit amoureusement l’être difforme, à la vue de la jambe bien tournée qu’avait exhibée la blanchisseuse. Est-ce que l’autre est pareille ?

Et comme le bossu avait fait une tentative indiscrète pour se répondre à lui même, la jeune femme l’envoya retomber sur sa chaise, et bondit hors du cabinet en criant à ses amis :

— C’est entendu, à demain soir ! En attendant, je retourne au bal.

Méral se redressa fort humilié et sortit avec ses compagnons. Sur le boulevard ils se séparèrent pour regagner leurs domiciles respectifs.

Justin habitait dans l’intérieur de Paris, tandis que Claude et Pierre logeaient dans un de ces nombreux hôtels garnis mal famés qu’on rencontrait alors à chaque pas sur les boulevards extérieurs.

On comprend aisément que si elle avait été forcée, dans l’intérêt de sa sœur, de revoir son ancien amant, Françoise lui avait impitoyablement fermé sa porte.

Du reste, Manouret, qui craignait d’avoir à parler du passé, n’avait pas insisté pour renouer avec sa vieille maîtresse. Il préférait de beaucoup n’être interrogé sur ce point ni par elle ni par qui que ce fût.

Les trois amis s’étaient donné rendez-vous pour le jour suivant, dans le même débit d’où ils sortaient, afin de se concerter selon les nouvelles qu’apporterait Clarisse.