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— Il était là, à cette même place, lorsque j’ai quitté l’hôtel de Rifay. Quand M. de Ferney mourut, je me sauvai à l’étranger, car je devais penser que le nouveau locataire de la maison trouverait ce cadavre accusateur, il n’en a rien été. M. Billy, qui est venu habiter l’hôtel après nous, a fait installer mon ancien appartement en bibliothèque, de sorte que cette caisse maudite est restée à la même place jusqu’au moment où ce monsieur Billy a été chassé de sa demeure par l’expropriation.

« Lorsque j’ai appris à Londres, par un journal, que la maison allait être démolie j’ai envoyé à Paris Delon, que j’avais retrouvé à la suite de circonstances inutiles à le raconter, mais il est arrivé trop tard ; un ouvrier avait enlevé le coffret, qu’il croyait rempli d’objets précieux, et, n’ayant découvert que ce que tu sais, il l’avait porté à Nogent, chez Pergous.

« Dès que je fus assurée de ce fait, j’ordonnai à Justin de tout tenter pour s’emparer de cette caisse. Nous savions qu’elle avait été enfouie dans le jardin de l’agent d’affaires. Justin s’introduisit dans ce jardin pendant la nuit, mais la fosse était vide, le coffre n’y était plus. Tu comprends que si ce corps avait été enlevé par un homme décidé à instruire la justice, il y a longtemps que l’affaire serait ébruitée ; or, comme les journaux n’en ont pas parlé, c’est que l’individu qui s’est emparé de cette horrible pièce à conviction veut en faire un instrument de chantage, pas autre chose ! L’ouvrier qui a porté ce cadavre à Nogent ayant disparu, et le propriétaire de la villa où on l’avait caché étant Pergous, Pergous qui, seul, savait ce que renfermait le coffret, j’en conclus que c’est bien lui qui l’a entre les mains.

— Pour quoi faire ? demanda Françoise, qui, pendant tout ce récit, avait cru assister à l’un des plus sombres mélodrames de l’Ambigu, son théâtre favori.

— Pour quoi faire ! Mais pour fouiller le passé et vendre aussi cher qu’il le pourra son silence à ceux, qui, comme moi, ont un intérêt immense à ce que cet horrible mystère ne soit jamais dévoilé. Car sais-tu ce qu’il y a au bout de cette affaire, si la justice s’en empare : la cour d’assises pour Manouret et pour moi !

— Pour toi ?

— Sans doute ! Est-ce que je ne suis pas complice de l’assassin, puisque non seulement je ne l’ai pas dénoncé, mais que, de plus, j’ai caché le corps de sa victime.

— C’est épouvantable !

— Tu comprends alors pourquoi je ne veux pas que Pergous conserve cette arme. L’important pour moi, en ce moment, est de savoir où il en est de ses recherches et quel est réellement son but. Mais comment m’y prendre, qui me renseignera ? Je n’ai sous la main que Justin, et je sais qu’il n’est pas heureux dans ses expéditions.

Complètement atterrée par tout ce qu’elle entendait là et fort effrayée du danger que courait sa sœur, l’aînée des Méral garda quelques instants le silence ; puis, saisie d’une inspiration subite, elle s’écria :