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Parvenue à l’angle de la rue du Four, la Fismoise mit pied à terre et, s’orientant en vraie Parisienne, entra chez un boulanger, où elle demanda si on ne connaissait pas dans le quartier M. Pergous.

— L’agent d’affaires ? dit le mitron auquel elle s’était adressée.

— Oui, c’est cela, répondit-elle.

— C’est nous qui le fournissons ; il habite en face, au numéro 12. Tenez, le voilà qui sort avec son premier clerc, M. Philidor.

Françoise se pencha vivement contre le vitrage de la boutique et reconnut sans hésitation celui qu’on lui désignait.

C’était bien l’ex-avoué de Reims, son ancien amoureux, un peu vieilli, un peu grossi, mais toujours avec sa même physionomie bestiale et rusée d’autrefois.

Marius Pergous s’en allait la tête haute, la poitrine en avant et le jarret tendu, en homme satisfait de lui-même. Philidor le suivait humblement.

Le hasard était cette fois pour Jeanne : du premier coup sa sœur avait obtenu le renseignement qu’elle désirait.

— Merci, mon garçon, dit la Fismoise au boulanger, je ne veux pas aborder M. Pergous dans la rue, mais je vais demander à son bureau à quelle heure on le trouve.

Elle traversa rapidement la chaussée pour entrer au numéro 12.

Mais elle se garda bien d’aller tourner le bouton de la porte de l’homme d’affaires. Après avoir tout simplement stationné pendant quelques minutes sur le palier de l’escalier, elle ressortit de la maison.

Un quart d’heure plus tard, elle était chez Mme de Ferney.

— Tu ne t’es pas trompée ! lui dit-elle, en se laissant tomber essoufflée dans un fauteuil, car elle avait gravit d’une seule traite trois étages ; le Pergous de la rue du Four est bien le nôtre. Je suis arrivée en face de chez lui au moment où il sortait. Que lui veux-tu encore ?

— Tu te souviens du crime que Manouret a commis à l’hôtel de Rifay, il y a bientôt dix ans ? dit Jeanne, interrogeant sa sœur au lieu de lui répondre.

— Oh ! oui, je m’en souviens ; le misérable ! Et ni les hommes ni le bon Dieu ne l’ont puni !

— On n’a poursuivi ni lui, ni personne : on a toujours cru que Berthe avait été enlevée, mais je t’ai dit jadis que j’avais caché ce corps.

— Oui, je me le rappelle.

— C’était la vérité. Après avoir étranglé cette pauvre petite, Manouret l’a jetée dans un coffre à cachemires, et moi j’ai glissé ce coffre sous le parquet de ma chambre.

Françoise étouffa un cri d’horreur.