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Il ne vit pas le mauvais sourire de Mme de Ferney, qui pensait :

— Cet homme est maintenant bien à moi : je l’ai acheté et payé.

Quelques instants après, la maîtresse et l’esclave se séparaient.

Le soir même, Justin prenait à Charing-Cross le train pour Douvres et, le lendemain matin, il rentrait à Paris, qu’il avait quitté depuis tant d’années dans les circonstances dramatiques que nos lecteurs, nous l’espérons du moins, n’ont pas oubliées.

Il n’avait pas vu Manouret ; mais, supposant instinctivement qu’il aurait besoin de son aide un jour ou l’autre, il lui avait écrit qu’il allait en France pour régler à la Marnière des affaires de famille.

Aussitôt à Paris, il s’installa dans une maison meublée d’aspect honorable, du quartier Richelieu, et, sans perdre un instant, se mit en chasse.

Sa mission consistait, on s’en souvient, à s’informer de l’époque où devait être démoli l’hôtel de Rifay. Il n’eut pas grand mal à la remplir ; car, en arrivant rue du Cloître, il vit qu’il était trop tard.

La nouvelle que la sœur de Françoise avait lue à ce sujet dans le Figaro datait déjà de plusieurs semaines.

L’hôtel était en pleine démolition.

Justin écrivit aussitôt à Jeanne ce qu’il en était et ne fut pas peu surpris, le jour suivant, vers midi, de recevoir, signée comtesse Iwacheff, une dépêche ainsi conçue :


« J’arriverai par le train de demain matin ; soyez à la gare. »


On conçoit aisément l’émotion qu’avait éprouvée Mme de Ferney en apprenant que les ouvriers s’étaient déjà emparés de cette maison où elle avait, si grand intérêt à entrer la première.

Un instant épouvantée par cette pensée qu’on allait trouver cette caisse, qui était toujours dans son ancienne chambre à coucher, comme une accusation terrible, elle avait d’abord songé à partir pour l’Amérique, afin de fuir aussi bien le scandale auquel donnerait lieu cette découverte que l’enquête et les poursuites qui en seraient la conséquence fatale, mais son énergie avait bientôt repris le dessus, et, comme le lui ordonnait son tempérament ardent à la lutte, elle s’était décidée à faire face au danger.

Elle avait de suite envoyé un mot à lord Rundely pour le prier de venir la voir sans retard, ce que celui-ci s’était empressé de faire, et elle lui avait dit, pour expliquer son brusque départ, qu’elle était appelée en France pour l’ouverture d’une succession dans laquelle sa fille avait des intérêts considérables.

C’était là un motif qui avait une apparence si sérieuse que le membre du Parlement approuva sa maîtresse en tous points. Il la supplia seulement de lui donner souvent de ses nouvelles et surtout de revenir le plus tôt possible.