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socier à ma destinée. Vous n’avez jamais su me défendre, vous n’avez su que m’attaquer. Les femmes comme moi n’aiment que ceux qui les dominent ou ceux dont elles font des instruments aveugles. Vous ne pouviez être mon maître et vous n’avez pas eu l’intelligence de devenir mon esclave.

— Jeanne ! Jeanne ! s’écria Justin ! vous me faites peur ?

En prononçant ces mots, il s’était appuyé sur le dossier d’un fauteuil. On eût dit qu’il ne pouvait se soutenir.

L’œil hagard, la bouche entr’ouverte, tout son visage exprimait autant d’admiration que de terreur pour cette créature dont le cynisme égalait la beauté.

Sa nature lâche et faible se courbait devant cette femme aux regards de feu, au geste dominateur, à la parole sèche et vibrante.

Sans rougir du sentiment monstrueux qui envahissait son âme avilie, il ne pensait, auprès de Jeanne, qu’à tout ce qu’il avait perdu de bonheur honteux en la perdant.

Il était livide et, tout à coup, se mit à trembler.

Son sourire satanique aux lèvres, Mme de Ferney s’avançait vers lui.

Il eût voulu fuir, mais ses pieds semblaient rivés au parquet.

— Aujourd’hui, je vous fais peur, lui dit-elle en mettant sa main sur son épaule. Vous êtes donc toujours le même, toujours sans courage et sans force ?

À ce contact, qui fit tressaillir tout son être, le misérable, dompté, haletant, fléchit les genoux, en murmurant :

— Grâce ! pardon ! dites un mot, ordonnez !

— Allons, relevez-vous, fit la jeune femme en le prenant par le bras ; je n’aime pas plus ceux qui plient comme des enfants que ceux qui menacent comme des sots. Voulez-vous être à moi, en aveugle, sans commenter mes ordres ?

— Oui, en esclave ! Mais que me donnerez-vous en échange d’une obéissance passive, en échange de ma vie, que je jouerai sur un geste de vous ?

— Lorsque j’aurai atteint mon but, lorsque je serai vengée de mes ennemis, lorsque je leur aurai rendu tout le mal qu’ils m’ont fait… je me souviendrai de nos premiers mois à la Marnière, et j’oublierai le reste.

Il n’en fallait pas davantage pour que Justin devînt fou de bonheur et d’espérance. Il saisit la main de l’infernale créature, qui ne la retira pas, et la couvrit de baisers.

— Maintenant, dit-elle après avoir permis au malheureux de s’enivrer pendant quelques secondes de cette caresse, asseyez-vous et écoutez-moi.

Delon se laissa tomber dans un fauteuil ; Jeanne s’assit en face de lui et reprit :

— Demain, vous donnerez votre démission à lord Rundely.

— Oui, s’empressa de répondre Delon.