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— En quoi cela vous regardait-il. Je l’aimais et je ne sache pas que je vous avais promis de devenir votre femme. Victime d’événements malheureux auxquels j’étais étrangère, vous êtes venu vous mettre brusquement en travers de mon bonheur. Vous avez, il est vrai, payé cher cette démarche, à la Marnière ; elle vous a coûté plusieurs années de prison.

— Grâce à votre abandon, à votre silence.

— Vous êtes fou ! Est-ce que je pouvais parler ? Est-ce que, quoi que j’eusse dit, on l’aurait cru ! Est-ce que les conséquences n’eussent pas été pour vous à peu près les mêmes ! Lorsque le juge d’instruction est venu à la Marnière pour m’interroger, j’étais mourante, on ne l’a pas laissé me parler. Votre introduction nocturne dans le château vous a coûté trois ans de liberté ; moi, je l’ai payée de la perte d’un nom honorable, d’une fortune et d’une position que j’ambitionnais. J’estime donc, quoi que vous pensiez, qu’à cette époque déjà vous êtes devenu mon débiteur, il n’est pas un honnête homme qui approuvera jamais la conduite que vous avez tenue. Lorsqu’on aime véritablement une femme, on ne la perd pas. Vous ne m’aimiez pas !

— Je ne vous aimais pas !

— Laissez-moi continuer. Plus tard, à Paris, vous me retrouvez encore. Ah ! cette fois, ce n’est pas pour me perdre, mais pour me frapper d’un coup de couteau. Et savez-vous quelles ont été les conséquences de cette tentative d’assassinat ? À force d’énergie et de volonté, j’avais reconquis la situation que je voulais dans le monde ; j’étais devenue la femme, vous entendez, la femme légitime d’un homme honorable ; j’avais un nom à moi, bien à moi ; eh bien ! votre agression aux Champs-Élysées m’a tout enlevé de nouveau : mon mari m’a chassée, il est mort et sa fortune même m’a été ravie, car, grâce au scandale dont vous avez été la cause, ses amis m’ont imposé silence et m’ont forcée de m’expatrier.

— Pourquoi m’avez-vous menacé de me faire arrêter à Paris ?

— Parce que vous exigiez que je vous suivisse. Ah ! vous avez peu de mémoire ; mais, moi, je n’oublie rien. Attendez, ce n’est pas tout. Je quitte la France, veuve, libre, toujours belle ; je fais en Russie un second mariage plus riche encore que celui que j’avais contracté à Paris ; puis des événements dont je n’ai pas à vous instruire me conduisent en Angleterre, où la fatalité vous met une troisième fois sur ma route, et cette troisième fois, comme les deux autres, vous vous arrogez le droit de me demander des comptes. Vous ne pouvez ni me perdre, ni m’assassiner, mais vous m’outragez grossièrement, tout cela par vengeance et non par amour. Ah ! vous me faites singulièrement regretter de vous avoir aimé jadis !

— Vous, m’avoir aimé !

— Je vous ai aimé, puisque je me suis donnée et que, certes, vous n’aviez aucune position sociale à m’offrir. Oui, je vous ai aimé et j’aurais continué à vous aimer, si vous aviez été un tout autre homme. Mais vous n’avez jamais eu ni force, ni courage, ni volonté. Vous n’étiez pas la nature vaillante que je voulais pour l’as-