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Mme de Ferney s’assit dans un fauteuil, prit son buvard sur ses genoux, puis, au moment d’écrire, levant de nouveau les yeux sur son ancien amant :

— Ah ! comment vous appelez-vous ici ? lui demanda-t-elle.

— Je n’ai pas les mêmes raisons que vous pour changer de nom, répondit sèchement l’ex-intendant de Mme de Serville ; je me nomme comme à la Marnière.

— Justin Delon ?

— Oui, Justin Delon, répéta le malheureux, dont la colère allait croissant, mais qui s’efforçait de se contenir en présence de la femme de chambre.

À l’attitude du secrétaire de lord Rundely, Sonia comprenait vaguement qu’il y avait entre sa maîtresse et cet homme un échange de paroles blessantes, et, lors même qu’elle n’eût pas reçu l’ordre de rester, elle ne serait pas sortie.

— Voici votre reçu, dit Jeanne à Justin, en tendant à sa domestique la feuille de papier sur laquelle elle avait rapidement tracé deux ou trois lignes, et que la jeune fille remit à l’envoyé du lord. Est-ce bien cela ?

— C’est cela, répondit Delon après avoir lu.

Puis, au lieu de donner à Sonia la lettre dont il était chargé, il la lança à Jeanne en s’écriant :

— Et vous, Rose Méral, une fois de plus, vous êtes payée !

À cet outrage, la jeune femme bondit comme une lionne blessée ; on eût dit qu’elle allait s’élancer sur Justin pour le déchirer de ses ongles.

Sa physionomie était effrayante à ce point que Sonia jeta un cri et que l’ami de Manouret fit un pas en arrière.

Mais, avec un de ces efforts de volonté qui étaient une des grandes puissances de Mme de Ferney, elle s’arrêta brusquement, éclata de rire et, d’une voix presque calme, ordonna à sa femme de chambre de s’éloigner.

Épouvanté de cette altitude nouvelle, Delon fit un mouvement pour suivre Sonia, mais Jeanne l’arrêta en lui disant :

— Si vous descendez une seule marche de l’escalier, je vous fais arrêter par mes gens et j’envoie chercher un constable. Puisque vous habitez l’Angleterre depuis longtemps, vous savez comment on sait y faire respecter le domicile de chacun.

À cette menace, dont l’exécution pouvait avoir pour lui des conséquences terribles, le malheureux n’osa franchir le seuil de la chambre.

La jeune femme passa près de lui, ferma la porte de son boudoir, revint prendre place sur un fauteuil et, après avoir arrêté un instant ses yeux sur Justin, qui détournait la tête, elle lui dit :

— Je pourrais, si je le voulais, vous livrer à la justice, et vous savez bien que, si je parlais, lord Rundely vous chasserait et que la France s’empresserait de vous