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quarante-huit heures, l’avait quittée en lui promettant de lui faire remettre une somme importante destinée à l’achat d’une villa dans l’île de Wight.

Quelques minutes après, l’envoyé de l’amoureux gentleman apparaissait sur le seuil du boudoir.

Mme de Ferney avait repris place sur sa chaise longue.

— Madame la comtesse Iwacheff ? demanda cet homme, qui tenait à la main un large pli.

— C’est moi ; donnez !

Mais aussitôt, bondissant de son siège, elle étouffa un cri de stupeur et peut-être aussi d’épouvante.

Après une seconde d’hésitation, le nouveau venu s’était élancé vers elle en s’écriant :

— Vous, vous, enfin !

Jeanne et Justin s’étaient reconnus.

Il se fit entre eux un instant de silence terrible.

Ce fut Mme de Ferney, qui, la première, prit la parole.

En voyant celui qu’elle avait indignement trompé et sacrifié retourner sur ses pas pour fermer la porte de la chambre, elle avait immédiatement compris que, si elle manquait un seul instant d’énergie, elle serait perdue.

— Eh bien ! oui, c’est moi, fit-elle, d’un ton hautain en se rapprochant de la cheminée, afin de pouvoir sonner si cela devenait nécessaire ; que me voulez-vous ?

— Je veux d’abord faire mon métier de valet, répondit Justin d’une voix ferme, quoique son visage fût d’une horrible pâleur, car nous avons le même maître, madame. Ainsi que vous, lord Rundely me paye. Je suis son secrétaire et vous la femme qu’il entretient. J’ai là, sous cette enveloppe, une somme à vous remettre, mais faites-m’en d’abord un reçu ; vous m’avez accusé jadis d’avoir volé des couverts d’argent à la Marnière. Je…

— Vous êtes un sot, interrompit Jeanne en haussant les épaules et en fixant Delon de ce regard étrange qui troublait ceux qui l’affrontaient, et si votre apparition subite m’a causé une surprise bien naturelle, n’en augurez pas que vous m’effrayez. Vous savez bien que je n’ai peur ni de vous ni de personne. Vous voulez un reçu ; c’est votre droit de commissionnaire ; je vais vous en faire un.

Elle avait sonné, avant même que Justin eût prévu son mouvement.

Sonia, qui était dans la pièce voisine, entra aussitôt.

— Donne-moi ce qu’il faut pour écrire, lui commanda sa maîtresse, et reste ici.

Ces mots avaient été prononcés en russe, langue que Delon ne comprenait pas, tandis que Sonia, elle, n’en connaissait pas d’autre.

La jeune servante obéit.