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L’arrivée de lord Rundely enleva la mauvaise créature à ces pensées, et elle eut l’énergie de se faire aussitôt souriante pour celui qui l’adorait mais pendant plusieurs jours, elle dut en appeler à toute sa volonté pour dissimuler l’impression que lui avait causée la lettre de sa sœur.

Plusieurs mois s’écoulèrent ainsi et la fausse comtesse, dont la vie se passait en fêtes, semblait tout entière aux hommages dont elle était l’objet, lorsqu’un matin, en parcourant les journaux français, après son déjeuner, elle lut, dans le Figaro, un fait divers qui la fit tressaillir d’épouvante.

Le journal parisien disait :


« Encore un des vieux quartiers de Paris qui va disparaître : le tracé du nouveau boulevard de la rive gauche renverse, dans le faubourg Saint-Germain, des ruelles indignes de la capitale, et cela est parfait ; mais, malheureusement, des demeures historiques doivent être également sacrifiées : les hôtels de Verneuil, de Lozère et de Rifay.

« Ce dernier est habité par un de nos plus savants membres de l’Institut, M. Billy, et c’est là qu’est mort, il y a une dizaine d’années, le conseiller à la cour, de Ferney, des suites de son duel avec un de nos meilleurs peintres. Les motifs de cette rencontre sont restés ignorés. Elle avait été précédée, seulement de quelques jours, d’un vol et d’un rapt commis à l’hôtel de Rifay.

« Jamais on n’a connu les auteurs de ce double méfait, et jamais non plus on n’a retrouvé l’enfant, une charmante petite fille de trois à quatre ans, qui a si mystérieusement disparu.

« Dans un mois, Paris aura oublié l’hôtel de Rifay comme il a oublié depuis longtemps les événements dramatiques dont il a été le théâtre. »


Cette nouvelle était grosse de menaces, et Jeanne, le comprenant, était devenue livide.

— Si on démolit l’hôtel, se dit-elle, on découvrira ce coffret maudit : on reconnaîtra aisément, dans quelque état que puisse être le corps qu’il renferme, le cadavre de Berthe ; on interrogera le passé… et je serai perdue. Que faire, mon Dieu ! que faire ?

En prononçant ces mots, Mme de Ferney s’était levée, et, la tête en feu, arpentait fiévreusement sa chambre.

Tout à coup elle vit entrer Sonia, et, furieuse d’être surprise dans cet état d’exaltation, elle lui dit durement :

— Que veux-tu ? Je n’ai pas sonné !

— Pardon, madame, répondit en tremblant la jeune domestique, qui n’avait jamais été reçue de la sorte, mais il y a en bas un envoyé de lord Rundely, qui apporte pour madame une lettre qu’il ne doit remettre qu’à elle-même.

Jeanne se souvint que la veille, en effet, son amant, forcé de s’absenter pour