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— Auriez-vous réussi, mon cher Morris ? demanda Stanley.

— Vous le saurez dans un instant. Venez.

En disant ces mots, le membre du Parlement avait précédé ses amis dans un salon voisin.

— Là, reprit-il après avoir fermé la porte, maintenant que nous sommes seuls, écoutez-moi. Qu’avons-nous parié à Covent-Garden ? Cent livres pour celui de nous qui, le premier, découvrirait l’adresse, le nom et la position sociale de la belle étrangère. C’est bien cela, je ne me trompe pas ?

— Oui, oui, c’est parfaitement exact, répondirent en chœur les parieurs.

— Eh bien ! messieurs, la belle étrangère s’appelle la comtesse Iwacheff, demeure Thurloe square, no 4 et elle est veuve. Chacun de vous me doit vingt livres.

— Hurrah ! s’écrièrent les compagnons de plaisir de lord Rundely.

— Ce n’est pas tout, poursuivit ce dernier, et ceci, mon cher William, s’adresse plus particulièrement à vous, car je crois que, seul, vous vous êtes mis sérieusement à la recherche de notre inconnue.

Nous avons encore parié mille livres pour celui de nous qui, le premier, inviterait ses amis à prendre le thé chez la mystérieuse apparition de Covent-Garden.

— C’est vrai, répondit sir William.

— Alors, mon cher Stanley, vous voudrez bien vous cotiser avec ces messieurs pour me remettre mille livres de plus, car je vous invite tous les cinq à passer demain la soirée chez Mme la comtesse Iwacheff.

De nouveaux hurrahs accueillirent cette invitation. Stanley s’avoua vaincu, mais il se vengea de sa défaite en murmurant à l’oreille de l’un de ses amis :

— Cette aventure nous coûte un peu cher, mais je crois qu’elle coûtera davantage encore à Morris.

Sir William ne croyait pas si bien dire, puisque lord Rundely avait déjà payé près d’un demi-million la conquête de Jeanne Reboul.

Le lendemain, à dix heures du soir, la petite troupe, sous la conduite de son vainqueur, franchissait le seuil de l’hôtel de la comtesse Iwacheff.

La soirée se prolongea de façon à bien prouver que lord Rundely avait gagné son pari.

Jeanne fut charmante pour lui, et ses amis, en proclamant que la maîtresse de la maison était une des plus séduisantes femmes qu’il fût possible de rencontrer ne doutèrent pas un seul instant que la victoire de Morris ne fût complète.

Un mois plus tard, il n’était question, parmi les clubmen de Londres que de la folle passion de lord Rundely pour la belle étrangère. Après avoir installé sa maîtresse avec le plus grand luxe, il lui avait acheté de superbes attelages et, contre l’habitude des gentilshommes anglais, il se montrait partout avec elle.